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"Des décharges sauvages de vêtements" partout en France: pourquoi la collecte des conteneurs ne va pas reprendre malgré "l'aide" du gouvernement

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Face à l'importance des volumes à collecter et à la raréfaction des débouchés, les acteurs de la filière de collecte et de recyclage textile tirent la sonnette d'alarme. Le gouvernement a promis une aide financière, un geste bienvenu qui ne permettra toutefois pas de résoudre les difficultés structurelles.

Cela fait des mois que ça dure mais la situation a encore empiré ces derniers jours. Quasiment plus aucun conteneur à recyclage en France ne peut recevoir de vêtements usagés. Les particuliers sont invités à reporter leurs dépôts et à stocker les vêtements chez eux.

Dans cette déchetterie du sud de la France, on prévient dès l'entrée: "si c'est pour des vêtements, ce n'est même pas le peine de rentrer, la société ne vient plus nous les prendre depuis des semaines et on explose là."

Les conteneurs de recyclage des bords de route débordent de vêtements formant des marées de textiles.

"On dirait des décharges sauvages partout dans la ville, c'est vraiment pitoyable", s'agace Claire qui souhaitait donner des vieux vêtements de ses filles adolescentes et qui rebrousse chemin avec ses sacs dans le coffre de voiture.

En raison du volume amassé, la capacité de traitement a atteint ses limites et l'équation économique n'a plus de solution. Aux coûts de collecte, il faut ajouter des "coûts de stockage qui explosent" selon Le Relais. Et des coûts de main d'oeuvre qui augmentent.

Le Relais, membre du mouvement Emmaüs, qui collecte près de deux tiers des volumes annuels a illustré le ras-le-bol de la profession en déversant des tonnes de vêtements devant des Kiabi ou des Decathlon la semaine dernière. Et également en suspendant les collectes depuis le 15 juillet. La société coopérative réclame une meilleure perception de la contribution textile pour équillibrer ses comptes. Une contribution payée par le consommateur lors de tout achat de vêtement neuf, qui s'élève à 3 centimes par article.

Une aide qui n'en est pas vraiment une

Face à la grogne, l’Etat a fini par sortir de sa réserve. La ministre de la Transition écologique, Agnès Pannier-Runacher a annoncé jeudi dernier une aide d'urgence de 49 millions d’euros qui est en fait une lettre ouverte aux acteurs de la filière, enjoignant de revaloriser le financement du tri.

"Ce n'est pas une aide supplémentaire du gouvernement, tempère cependant Emmanuel Pilloy, président du Relais. Mais bien une meilleure redistribution de l'éco-contribution vers les acteurs de la filière de recyclage que l'on demandait depuis longtemps."

"Actuellement on ne touche que 0,8 centime par article sur les 3 centimes prélevés au départ sur tout article neuf. Et on parle d'un marché de 3,5 milliards d'articles neufs vendus par an."

L'injonction gouvernementale permettrait de faire passer la valorisation de la tonne de vêtement triée de 156 à 223 euros. Reste maintenant à l'organisme Refashion, en charge de structurer la filière, d'accepter la demande du gouvernement. Ce qu'il n'est pas encore fait.

Donc tant que Refashion n'acceptera pas de payer plus cher la tonne de vêtements, Emmanuel Pilloy assure que la collecte reste suspendue.

"La balle est dans le camp de l'éco-organisme, complète le président du Relais. Il s'agit d'une question de survie. Cette revalorisation nous permettra de tenir quelques mois et de préparer 2026. On avait demandé plus, mais passer de 156 à 223 euros la tonne c'est mieux que rien".

Pour l'instant l'éco-organisme Refashion n'a pas répondu à l'injonction, indiquant qu'il s'agit d'un "effort considérable" et qu'il attend des précisions d’application.

Des bennes à vêtements condamnées
Des bennes à vêtements condamnées © Frédéric Bianchi

Ces dépôts saturés, les ventes dans les magasins de seconde main qui s'essouflent... Ces symptômes, loin d'être nouveaux, convergent vers un même constat: la filière de recyclage du textile est arrivée à saturation. Il devient impossible de collecter et d'assurer un réemploi aux textiles et chaussures en quantité astronomique. Les acteurs du tri et du recyclage, dont le Relais, mais aussi Emmaüs ou la Croix-Rouge font état de centres de tri saturés. Les difficultés de la filière sont désormais structurelles: le déséquillibre entre l'offre et la demande ne cesse de se creuser.

L'offre tout d'abord. Chaque année 260.000 tonnes de vêtements sont collectées, un volume en progression de 15.000 tonnes par rapport à 2021. En cause, les volumes de vêtements issus de la fast-fashion, achetés à tout petit prix sur les sites chinois comme Shein ou Temu, mais aussi des enseignes comme Primark ou Boohoo. Or ces vêtements sont vendus si peu chers que leur revente en deuxième main est moins avantageuse que le prix de vente. Mais ils sont aussi de si mauvaise qualité qu'ils ne sont pas recyclables, les fibres synthétiques dont ils sont faits ne le permettant pas.

La fast mode (par exemple Shein) est faite de produits non recyclables et non réutilisables qui polluent la filière et notre environnement", expliquait la Croix-Rouge dans un communiqué en 2024.

Et les débouchés, donc les sources de revenus s’amenuisent. Dans la réalité, à l’inverse de ce que l’on imagine, peu des vêtements collectés atterrissent dans des friperies françaises. Selon l'éco-organisme Refashion, 60% des produits triés sont réutilisés en l'état. Mais en raison de leur faible qualité, ils sont plutôt revendus à des acteurs de la fripe à l’étranger.

"Seuls 7 à 10% des vêtements collectés sont revendus en France. Certains vêtements, un peu plus fatigués sont exportés vers des acteurs locaux ou nos propres centres, par exemple au Sénégal ou à Madagascar, ou encore en Europe de l'Est", indique Emmanuel Pilloy. Ce qui crée aussi des emplois directs à l'étranger."

Mais même à l’étranger, les débouchés se sont plus rares, les acteurs africains se tournant notamment directement vers les producteurs chinois. Refashion soulignait mardi dans un communiqué "la brusque chute des cours à l'export des textiles usagés triés, en Afrique majoritairement".

Lorsqu'ils ne peuvent être réemployés, certains textiles peuvent être recyclés en produits à autres usages, par exemple en chiffons pour l'industrie ou en isolants dans le bâtiment. D'autres serviront de combustible, un drôle de cercle fermé pour ces textile dont nombreux sont des dérivés du pétrole.

Pour les observateurs de la filière, difficile de résoudre l’équation, sans s’attaquer aux racines du problème. Notamment les ressorts économiques d'une filière qui ne valorise que le tri, pas la collecte. Et surtout le problème de la surconsommation. Selon le communiqué de presse d’Emmaus, la France consomme chaque année plus de 850.000 tonnes de textiles. Même si la France reste un bon élève du recyclage, sans consommation plus vertueuse de produits extrêmement polluants, l’aide du gouvernement ne sera qu’une mesure de soulagement temporaire.

Marine Landau