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Ces soignants qui préfèrent la précarité des vacations

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Pour séduire infirmiers et médecins, les hôpitaux proposent aux vacataires des rémunérations bien plus élevées que celle de la grille salariale applicable aux soignants en poste. Mais au delà des écarts de salaires, c'est la liberté procurée par ce type de contrat qui séduit.

C’est l’un des symptômes les plus criants de la crise existentielle que traverse le système hospitalier français. Les soignants gagnent aujourd’hui bien mieux leur vie quand ils préfèrent la précarité à la stabilité. Ce phénomène n'est ni totalement nouveau, ni propre à ce secteur d’activité. Mais il est exacerbé par la crise sanitaire, dans la mesure où les besoins de recrutement des hôpitaux se sont amplifiés.

De plus en plus d’hôpitaux sont contraints de fermer des lits dans certains services par manque de personnel. Et ce n’est pas faute de chercher. Mais leurs offres d’emploi ne trouvent pas preneur. Fraîchement diplômés d’une école d’infirmières, de nombreux jeunes rechignent à s’engager sur le long terme.

Même avec sa prime à l'embauche de 7500 euros, l'APHP peine à séduire les jeunes diplômés

D’abord pour des raisons financières. A l’APHP, premier employeur des hôpitaux publics en Ile-de-France, une jeune infirmière va percevoir 2100 euros net par mois ainsi qu’une prime à l’embauche de 7500 euros. Mais pour cela elle devra s’engager à rester 18 mois au minimum.

Alors qu’en ce moment, elle peut trouver dans la même région des vacations à 21 euros de l’heure et des forfaits nuit payées 250 euros brut. Donc pour douze nuits par mois, elle gagnera mieux votre vie qu’en signant un CDI à l’APHP. A la question de la rémunération s’ajoutent les contraintes propres au statut d’agent de la fonction publique hospitalière dans des établissements en manque permanente de personnel.

En optant pour des vacations, une infirmière pourra mieux gérer son emploi du temps, partir en vacances quand elle le souhaite... Bref, ne plus travailler sous pression. Et les jeunes diplômés le savent avant même d’avoir à faire un choix puisqu’au cours de leur stage en hôpital public, ils n'ont pas manqué de le constater.

Un jeune infirmier anesthésiste vacataire payé comme un permanent en fin de carrière

Par ailleurs, sur le plan financier, les différences de rémunérations peuvent atteindre des niveaux assez fous dans les spécialités les plus recherchés. C'est notamment le cas pour les anesthésistes. Au plus fort de l’épidémie de Covid, on a pu mesurer à quel point on manquait en France à la fois d’infirmiers et de médecins spécialisés dans les services de réanimation.

Or que gagne un infirmier anesthésiste en CDI dans la fonction publique hospitalière? Un peu plus de 2000 euros net en début de carrière, un peu moins de 3600 euros en fin de carrière. Alors qu’aujourd’hui, avec un contrat court, il peut gagner nettement plus.

Sur le site Indeed, le service d’anesthésie de l’hôpital Bichat-Claude Bernard, établissement public dépendant de l’APHP, vient de publier une offre de vacation à 4400 euros brut par mois à laquelle peut postuler tout "titulaire du Diplôme d’État Infirmier-e anesthésiste". Un salaire qu'il ne pourrait toucher qu'après plus de vingt ans de carrière s'il était en CDI dans le même établissement.

Des médecins payés 3000 euros la garde de 24 heures le week-end

Pour les médecins anesthésistes, la concurrence entre les hôpitaux a atteint un tel niveau que pour séduire les praticiens disponibles, le tarif des gardes atteint des niveaux stupéfiants. Le Canard Enchainé de la semaine dernière mentionnait le cas de l’hôpital de Cahors qui proposait jusqu’à 3000 euros net la garde de 24 heures le week-end (125 euros de l’heure).

De quoi gagner en deux vacations, l’équivalent du salaire mensuel d’un titulaire en CDI. Comment imaginer qu’au sein des équipes en place, de tels écarts puissent ne pas générer tensions et tentations?

Pierre Kupferman
https://twitter.com/PierreKupferman Pierre Kupferman Rédacteur en chef BFM Éco