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"Désmicardiser la France": les deux économistes mandatés par Matignon dévoilent leurs solutions

Les syndicats battent le pavé vendredi contre l'austérité, pour les salaires et l'égalité femmes-hommes

Les syndicats battent le pavé vendredi contre l'austérité, pour les salaires et l'égalité femmes-hommes - PHILIPPE HUGUEN © 2019 AFP

Antoine Bozio et Etienne Wasmer proposent de revoir le système actuel d'allègement de charges en le lissant davantage pour mieux inciter les employeurs à augmenter les salaires. Même si leur système prévoit une hausses de charges au niveau du Smic.

Comment régler le problème des "trappes à bas salaires" et redonner du pouvoir d'achat aux Français? C'est la question qui préoccupent les gouvernements depuis plusieurs années maintenant. La nouvelle ministre du Travail Astrid Panosyan-Bouvet en a même fait sa priorité. Avec cette idée que le système actuel d'allègement de charges n'inciterait pas à augmenter les salaires passé certains seuils.

La ministre a de la lecture sur son bureau depuis quelques jours. Les économistes Antoine Bozio et Etienne Wasmer, mandatés fin 2023 par Elisabeth Borne, viennent de lui remettre leur rapport de quelque 300 pages sur le sujet.

La difficile mise en évidence du problème des trappes à bas salaire

Avec d'emblée un premier constat qui peut surprendre: le problème des trappes à bas salaire n'existe peut-être pas.

"Peu de travaux empiriques concluent qu'il y ait des trappes à bas salaires, indique Etienne Wasmer lors d'un point presse. Mais le bon sens permet de penser que le système actuel des allègements de charges a des effets désincitatifs."

Nicolas Doze face à Jean-Marc Daniel : Smic, faut-il augmenter les cotisations ? - 18/09
Nicolas Doze face à Jean-Marc Daniel : Smic, faut-il augmenter les cotisations ? - 18/09
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On cite en effet souvent l'exemple de l'augmentation de 100 euros d'un salarié au Smic qui coûterait 483 euros à son employeur. Le bon sens laisse à penser que que ça n'incite pas l'employeur à augmenter son salarié. La difficulté c'est que la littérature scientifique fait le constat que, globalement, les bas salaires croissent plus vite que les salaires plus élevés.

De plus, dans certains cas, le salarié n'est lui-même pas incité à demander une augmentation, parce qu'il peut perdre tout ou partie de sa prime d'activité s'il est augmenté.

Cependant, comme l'expliquent les auteurs du rapport, "ce n'est pas parce qu'on ne peut pas prouver qu'elles existent qu'on prouve qu'elles n'existent pas."

Augmenter le coût du travail au Smic

Il est vrai que la multiplication des allègements de charges sur les bas salaires depuis 1993 (de Balladur au CICE, en passant par Fillon et Aubry) a créé un système avec différents paliers qui renchérissent brutalement le coût du travail à certains multiples du Smic (entre 1 et 1,6 Smic puis entre 1,6 et 2,5 Smic...).

"Nous proposons de casser la dynamique consistant à sans cesse renforcer les exonérations sur les bas salaires", indiquent les économistes Antoine Bozio et Etienne Wasmer.

Afin de supprimer les effets de seuil et diminuer le coût pour les employeurs des augmentations de salaire, ils proposent dans leur scénario central de relever les cotisations entre 1 et 1,2 Smic, de les alléger entre 1,2 et 1,9 Smic et de les alourdir entre 1,9 et 3,5 Smic.

Les allègements s'arrêteraient à 2,5 Smic, contre 3,5 Smic aujourd'hui.

La baisse des allègements de charges proposée par les économistes (courbe rouge) serait plus progressive que l'actuel système par à coup (courbe bleue).
La baisse des allègements de charges proposée par les économistes (courbe rouge) serait plus progressive que l'actuel système par à coup (courbe bleue). © BFMTV

Concrètement, il s'agit de lisser la courbe de la dégressivité des allègements de charges sur les bas salaires jusqu'à 2,5 Smic pour éviter que la distribution des salaires se concentre aux intersections.

Le système d'exonérations qui s'est progressivement mis en place en France depuis trois décennies a abouti à ce que le taux de cotisations qui pèse sur un Smic ne soit plus que de 6,9%, contre 45% en 1993, plaçant la France dans le bas du tableau au niveau des pays de l'OCDE.

Pas de risque sur l'emploi

Ce qui laisse penser aux auteurs que la hausse du coût du travail au niveau du Smic proposé dans leur modèle n'aurait pas d'incidence sur l'emploi.

"L'effet sur l'emploi serait globalement positif, estime Antoine Bozio. Il y aurait moins d'emplois au niveau du Smic mais plus à des emplois de 1,2 Smic et au-delà."

A l'échelle d'une entreprise, les baisses de cotisation par rapport au modèle actuel (entre 1,2 et 1,9 Smic) compenseraient les hausses au niveau du Smic et eu-delà de 1,9 Smic.

Il existe aussi d'importants effets de seuil, selon les économistes qui mentionnent le cas d'une augmentation du salaire brut mensuel de 3.803 euros à 3.804 euros (au seuil de 2,5 Smic), qui "conduit pour l'employeur à une hausse du coût du travail annuel de 2.756 euros, contre un gain net pour le salarié d'environ 9,50 euros sur l'année".

La réforme doit permettre de "redynamiser les salaires", affirme Etienne Wasmer lors d'un point presse: avec le scénario central, le coût pour augmenter les salariés baisserait "assez significativement de l'ordre de 10%". Dans le cas d'une personne seule sans enfant au niveau du Smic, la hausse de 100 euros couterait ainsi 430 euros et non plus 483 euros.

Le nombre de salariés payés au Smic a fortement augmenté en France. Au 1er janvier 2023, 17,3% des salariés étaient concernés. Mais c'est davantage la conséquence de la forte hausse du salaire minimum en France depuis 2022 que du système des allègements de charges qui n'a pas évolué depuis 2017.

Frédéric Bianchi (avec AFP)