De 5 à 10 euros pièce: pourquoi le melon est si cher ce début de saison

Sur un drive E.Leclerc en Bretagne, le melon est vendu 10 euros pièce. - E.Leclerc
Depuis quelques semaines, votre melon et prosciutto vous coûte peut-être plus cher en fruit qu'en jambon. Depuis le début de la saison, les melons charentais qu'ils soient originaires de France, d'Espagne ou du Maroc atteignent des prix stratosphériques. Pour vous offrir le fruit star de Cavaillon, il vous faudra débourser parfois aux alentours de 5 euros la pièce. Quand ce n'est pas davantage.
Sur un drive E.Leclerc de l'ouest de la France, le charentais de la marque Mylibon (groupe Boyer, un des plus imprtants producteurs français), c'est même 10 euros que vous le paierez. A ce prix-là, vous pouvez croiser les doigts pour qu'il soit bon.
Si les melons sont en général plus chers en début de saison quand la production est plus faible, cette année, les tarifs battent des records. Il y a certes l'inflation avec des coûts de production qui ont enflé de 30% cette année avec l'augmentation des prix de l'énergie et des matières premières. Mais ce n'est pas la véritable explication. C'est surtout le manque d'offre qui explique le niveau élevée de prix des semaines passées. La météo capricieuse de mars et avril a fortement limité la production.
Le melon en crise
"Le melon au détail vendu en mai et début juin vient principalement d'Espagne, rappelle Jérôme Jausseran, le président de Force Sud, un un groupement de producteurs héraultais. En avril, il a énormément plu en Espagne et les abeilles n'ont pas pollinisé les fleurs de melon."
Il faut en moyenne cinq semaines pour produire un melon. En mai, avec le retour du beau temps en France, l'envie de melon s'est faite sentir. La profession estime que la demande est multipliée par trois lorsque les températures dépassent les 25°C. Mais comme l'offre n'était pas au rendez-vous, les prix ont flambé sur les Marchés d'intérêt national (MIN) et donc dans nos rayons.
"En mai, on expédie normalement les melons à 1,80 euro le kilo (prix vendu par les producteurs au distributeur), estime Jérôme Jausseran. Cette année, on était au dessus de 3 euros. Ce qui fait un prix public à plus de 5 euros."
Mais pas d'inquiétude. Les prix vont baisser dans les jours qui viennent. Avec les récoltes de mai qui arrivent sur les étals, le melon retrouve progressivement son tarif habituel de 3 euros la pièce.
Si la hausse a été douloureuse pour les consommateurs, elle a plutôt été bien accueillie par les producteurs. Car le melon traverse une crise profonde depuis plusieurs années. En deux ans, ce sont les deux plus gros producteurs de melons du pays qui ont cessé totalement ou partiellement leur activité.
En 2020, l'entreprise du Poitou Rouge-Gorge qui produisait à elle seule 10% de la consommation française (30.000 tonnes par an) a cédé son activité au groupement Force Sud pour se consacrer aux pommes.
Un an plus tard, c'est le nouveau numéro 1 du secteur Soldive qui abandonne presque totalement la production de melon. En fin d'année dernière, le groupe Les Vergers du Sud, propriétaire de Soldive, a fermé la plupart de ces sites et divisé par cinq le nombre d'hectares cultivés en melon.
"La météo et la production ont été catastrophiques, commentait en novembre dernier dans Ouest France Lucas Crosnier, le directeur général des Vergers du Sud. Comme pour Rouge-Gorge, nous sommes arrivés à la limite de ce qui est économiquement viable."
Un tiers de surfaces en moins en 10 ans
Et le phénomène est global. Les surfaces cultivées en melons ne cessent de fondre depuis une décennie. De 14.750 hectares en 2012, la surface totale dans les trois principales régions productrices est tombée à 10.400 cette année selon les données de l'Association Interprofessionnelle du Melon (AIM).

La production qui tournait aux alentours de 300.000 tonnes l'année est tombée à 240.000 en 2020 avant de légèrement remonter en 2021 (260.000). Insuffisant pour satisfaire les consommateurs français, les plus friands au monde de melons charentais. Les grands producteurs hexagonaux vont ainsi produire en Espagne et au Maroc de quoi fournir notre pays en melons. Le déficit commercial du melon se creuse année après année et a atteint un record de 121.000 tonnes en 2021.
Une guerre des prix mortifère
Pourquoi une telle crise de la production alors que les Français continuent de plébisciter le fruit de l'été? En légère baisse certes, la consommation reste tout de même soutenue avec 80% des Français qui en achètent chaque année pour un total de 8kg consommés par ménage.
Le problème du melon c'est que sa production est de moins en moins rentable. Si les Français l'achètent 2 euros en moyenne sur l'année selon Kantar, il est principalement vendu en promotion. Durant l'été, le taux d'achat en promo tombe rarement sous les 40% selon l'étude annuelle de FranceAgriMer. Il n'est pas rare de voir le melon vendu 0,99 euro la pièce dans certaines enseignes l'été.
"Le melon c'est le produit d'appel de l'été, le référent prix pour toutes les enseignes sur lequel elles font énormément de communication, explique Jérôme Jausseran. Un responsable d'enseigne me racontait que lorsqu'il faisait une pub sur le melon, il était à chaque fois convoqué par son PDG pour qu'il lui assure que son produit était bien le moins cher du marché. C'est le seul produit qui donnait lieu à cette convocation!"
Par définition un produit d'appel n'a pas vocation à être rentable. Son objectif est de drainer du flux en point de vente. Mais si les Leclerc, Carrefour et autres Intermarché se rattrapent sur d'autres produits, les producteurs, qui eux ne font que ça, ne peuvent pas s'équilibrer lorsqu'on leur achète un produit en deçà de son coût de revient. Ce qui arrive fréquemment lors des promotions.
"Je suis obligé de le vendre pour qu'il ne me reste pas sur les bras même si c'est en dessous du coût de production, confie Jérôme Jausseran. On essaie de s'équilibrer sur l'année mais on a malgré tout une faible marge."
Pour peu que la récolte soit mauvaise, c'est le bilan dans le rouge assuré. D'où les abandons d'activité de ces dernières années et la diminution progressive des terres cultivées.
D'autant qu'outre la "malédiction" du produit d'appel, le melon est une production difficile et coûteuse. Il faut compter entre deux et trois personnes pour cultiver et récolter un hectare de melon sur la saison.
"Faites le compte, si vous avez 100 hectares, c'est 250 personnes qu'il vous faut alors que pour la même surface en céréales c'est une ou deux personnes maximum, estime Jérôme Jausseran. Et en plus, pour les céréales, vous avez un prix de vente garanti."
De plus en plus de producteurs abandonnent leurs champs de melon pour cultiver du blé ou de l'orge. En 2022, ils ne sont plus que 400 à produire encore du melon charentais en France.
