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Trop coûteux, pas assez ciblé, utilisé indûment: la Cour des comptes estime que le Pass culture n'atteint pas ses objectifs

Le Pass Culture

Le Pass Culture - Pass Culture

Le Pass culture permet depuis 2021 à tous les jeunes de 18 ans de bénéficier d’un crédit de 300 euros pour accéder à des activités ou à des biens culturels de leur choix.

Le bilan est sévère. La Cour des comptes s'est penchée sur le Pass culture, lancé il y a quatre ans par le gouvernement suite à une promesse d'Emmanuel Macron afin de favoriser l’accès à la culture pour les jeunes et encourager la diversité des pratiques culturelles.

En résumé, qu'il s'agisse de son fonctionnement, de son coût ou de ses bénéfices, le rapport des Sages trouve assez peu de raisons de satisfaction. Et appelle à une réforme en profondeur du dispositif.

Rappelons que le Pass culture (qui se présente sous la forme d'une application) permet depuis 2021 à tous les jeunes de 18 ans de bénéficier d’un crédit de 300 euros pour accéder à des activités ou à des biens culturels de leur choix (spectacles, livres, cinéma, streaming, presse...).

Escape games: 16 millions d'euros indûment financés

On apprend ainsi dans le rapport que 16 millions d'euros ont été versés pour financer des activités d'espace games "alors qu’elles n’auraient jamais dû être considérées comme pouvant entrer dans le périmètre des offres éligibles sur l’application".

Du coup, le ministère de la Culture a décidé de déréférencer assez rapidement 500 offres (notamment d'escape games), de fixer à 100 euros le plafond pour les offres numériques, puis à diversifier l’offre de biens en demandant par exemple que les institutions culturelles acceptent le Pass comme moyen de paiement.

Malgré ces évolutions, le Pass culture rate ses objectifs, estime le rapport, d'où un "impact limité".

Ainsi, si 84% des jeunes de 18 ans ont activé leur passe, ce chiffre tombe à 68% parmi ceux issus des classes populaires, soit la cible la plus visée.

Effet d'aubaine

"Le Pass culture laisse de côté une partie des publics moins familiers des pratiques culturelles. La capacité d’un dispositif, avant tout financier, à aider les publics les plus éloignés de la culture à surmonter les inégalités préexistantes est à relativiser. Le principal impact du Pass culture se traduit plutôt par une intensification des pratiques culturelles déjà bien établies, ce qui contribue à confirmer le risque d’effet d’aubaine de son utilisation par des jeunes disposant déjà, notamment par leur environnement familial, d’un capital culturel plus élevé", peut-on lire.

Un constat d'ailleurs partagé par Rachida Dati, la ministre de la Culture. Dans sa réponse faite au rapport, elle dit "partager l'observation de la Cour concernant le caractère insuffisamment universel du pass Culture et sa capacité limitée à lutter contre la reproduction sociale des pratiques culturelles".

"Dès ma nomination en janvier 2024, j'ai souhaité que soit engagé un grand chantier de transformation du pass Culture afin de passer d'une recherche de performance quantitative (focalisée sur le nombre de jeunes inscrits) à une réelle politique qualitative de démocratisation culturelle encourageant la diversification des pratiques", assure-t-elle.

Surtout, le fait d'utiliser ce Pass n'incite pas à poursuivre une consommation de biens culturels a posteriori. "Une fois les crédits consommés, les utilisateurs ne sont plus que 38% à poursuivre les activités découvertes ou à fréquenter les lieux", peut-on lire dans le rapport. Le Pass est ainsi qualifié d'"aide à la consommation" et non pas un vecteur de changement.

Côté dépenses (257 euros en moyenne), la diversification des pratiques n'est toujours pas au rendez-vous. 42 à 45% des achats se portent sur les livres et la part des mangas est passée de 40 à 20%. La musique (23% des dépenses) et les places de cinéma (21%) arrivent derrière.

Budget: de 92 à 244 millions d'euros en quatre ans

Le théâtre, la danse ou le cirque ne concentrent que 7% des dépenses. En cause notamment, le manque de volonté des établissements concernés. "Les grands opérateurs publics semblent réticents à s’ouvrir au public détenteur du Pass", note la Cour.  

Une médiatisation trop faible de la diversité des offres est également pointée du doigt. "Le Pass culture s’apparente davantage à un simple portail de réservation plutôt qu’à un véritable espace de découverte", peut-on lire.

"J'ai demandé de travailler à une évolution majeure de l'éditorialisation du pass Culture, en développant aussi bien la géolocalisation qu'une ligne éditoriale faisant une réelle place à la médiation et permettant la mise en valeur d'expériences moins spontanément plébiscitées par les jeunes", a répondu Rachida Dati.

Côté budget, les Sages s'effraient de la croissance "rapide" des dépenses passant de 92 millions d’euros en 2021 à 244 en 2024, voire 324 millions en ajoutant les montants versés aux établissements scolaires dans le cadre de la "part collective" du Pass dédiée aux établissements scolaires (collèges et lycées) pour financer des sorties scolaires culturelles.

Originellement, ce coût devait supporté en grande partie par le secteur privé. Or il est financé en quasi-totalité par l'Etat.

"Tout statu quo apparaît comme non tenable"

La société par actions simplifiées d’intérêt général Pass culture occupe désormais "la deuxième place parmi les structures financées par le ministère de la Culture après la Bibliothèque nationale de France", note ainsi la Cour qui fait état de 176 emplois équivalent temps plein pour faire fonctionner le dispositif.

Et alors que le contexte budgétaire français est très tendu, la Cour appelle à "des arbitrages pour mettre un terme à la croissance non maîtrisée des crédits". Et de prévenir: "Tout statu quo concernant le Pass culture apparaît comme non tenable".

Elle formule quelques propositions: la réduction du montant du crédit alloué, la mise sous condition de ressources (ce que souhaite également la ministre), le ciblage des bénéficiaires selon des critères sociaux (boursiers) ou territoriaux.

"Un recalibrage du dispositif est non seulement possible, mais souhaitable eu égard aux résultats contrastés de cette politique" assène la Cour.

Olivier Chicheportiche Journaliste BFM Business