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Travailler moins pour gagner plus: de plus en plus de médecins pratiquent les dépassements d'honoraires qui ont atteint 4,3 milliards d'euros en 2024

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56% des praticiens spécialisés choisissent le secteur 2, non conventionné, observe le Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie (HCAAM) contre 37% en 2000. Chez les jeunes médecins, ce sont les trois quarts des spécialistes qui choisissent de s'y installer contre les deux tiers sept ans plus tôt.

C'est une tendance qui se confirme et qui s'accélère. Selon le dernier rapport du Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie (HCAAM), le montant total des dépassements d’honoraires des médecins spécialistes atteint 4,3 milliards d'euros en 2024. Soit une augmentation de 5% par an depuis 2019 en valeur réelle, hors inflation.

Le dépassement d'honoraires (non remboursé par rapport aux tarifs de base de l’Assurance maladie) est appliqué par les médecins, le plus souvent spécialisés, inscrits en secteur 2, le secteur 1 étant "conventionné", il n'autorise pas ce dépassement.

Or, comme le souligne le rapport, le nombre de praticiens inscrits en secteur 2 ne cesse de progresser en France.

"En 2024, 56% des spécialistes sont en secteur 2 contre 37% en 2000. Aujourd’hui, lorsqu’ils s’installent, les trois quarts des jeunes spécialistes choisissent le secteur 2: la proportion était des deux tiers en 2017", peut-on lire.

Il faut dire que "les dépassements d’honoraires représentent aujourd’hui plus du tiers des revenus professionnels pour certaines spécialités", souligne le rapport. Mais avec de fortes disparités.

Un enjeu financier pour les spécialistes

"Les dépassements représentent une part plus importante des revenus dans certaines spécialités dont les revenus sont plus faibles en moyenne, alors qu’ils tiennent une place bien moindre dans les revenus des certaines spécialités techniques et souvent intensives en capital, dont les revenus sont pourtant les plus élevés", souligne le HCAAM.

Choisir le secteur 2 et appliquer des dépassements "élevés", c'est s'offrir la possibilité pour les médecins de moins travailler en volume, estime le rapport, et de s'installer dans des zones géographiques où les revenus sont confortables.

"On constate, pour l’ensemble des spécialités, que les praticiens appliquant les dépassements les plus élevés ont une activité plus réduite que leurs confrères. La possibilité d’appliquer des dépassements d’honoraires élevés facilite l’installation dans les zones métropolitaines à niveau de vie élevé, où de fait la part de spécialistes en secteur 2 est nettement plus élevée".

Pas de quoi réduire la question des déserts médicaux, au contraire. "Les dépassements d’honoraires contribuent donc à aggraver les inégalités territoriales dans la répartition des spécialistes", peut-on lire.

La tentation de s'installer dans les zones les plus aisées

Côté patients, la généralisation du non conventionné chez les spécialistes entraîne mécaniquement une hausse du reste à charge non remboursé par la Sécurité sociale.

"Par exemple, pour une intervention de prothèse totale de la hanche, près de la moitié des patients s’acquittent de dépassements (630 euros en moyenne et plus de 1.000 euros dans 10% des cas). De plus sur l’ensemble de l’épisode de soins qui entoure cette intervention, près de 80% des patients sont exposés à au moins un dépassement. En cumul, cela fait alors 700 euros en moyenne et plus de 1.400 euros pour 10% de ces patients", détaille le rapport.

Car si les dépassements d’honoraires des médecins sont pris en charge à environ 40% par les complémentaires santé, ils représentent au total 14% du reste à charge des ménages.

Le HCAAM rappelle que les ménages les plus modestes couverts par la complémentaire santé solidaire (C2S) sont en théorie protégés contre les dépassements puisque les praticiens ont l’interdiction de leur facturer ce surplus.

"Mais l’effectivité de cette protection est atténuée par le fait que beaucoup d’assurés ne font pas valoir leurs droits", peut-on lire.

"Pour les autres assurés, y compris en affection de longue durée (ALD), la prise en charge par les complémentaires santé est variable selon le type de contrat et rarement intégrale. Les contrats d’entreprise, qui couvrent surtout des salariés du secteur privé et leurs ayant-droits offrent des garanties généralement supérieures que les contrats individuels, plus fréquents parmi les personnes âgées et les personnes sans emploi", explique le rapport.

"Incompréhension face à un système difficilement lisible"

Evidemment, plus l'assuré habite une grande ville où les revenus sont aisés (là où les spécialistes de secteur 2 sont les plus nombreux), plus il est exposé aux dépassements. Le dépassement par patient est ainsi quatre fois plus élevé à Paris qu’en moyenne nationale.

De la même manière, plus l'assuré est âgé, plus il devra payer des dépassements, son besoin de praticiens spécialisés étant plus important. Les 70-79 ans paient en effet deux fois plus de dépassements que les 30-39 ans.

"Les dépassements d’honoraires sont variables, non prévisibles et suscitent chez beaucoup de patients une incompréhension face à un système difficilement lisible. Les trois quarts de la population vivant en France estiment que les dépassements d’honoraires pratiqués par certains médecins ne sont pas justifiés", conclut le rapport qui estime que "la dynamique des montants de dépassements (devrait) se poursuive dans les années à venir".

Olivier Chicheportiche Journaliste BFM Business