Comment E. Leclerc peut vendre une baguette trois à quatre fois moins cher que le boulanger
"Il veut nous faire passer pour des voleurs." Le patron de la Confédération de la boulangerie Dominique Anract est très remonté contre la baguette à 29 centimes de Michel-Edouard Leclerc.
"Avec la hausse du prix des matières premières, il faut augmenter le prix de la baguette dont le prix est invisible pour la plupart des Français, insiste-t-il. Leclerc ne calcule pas le prix de revient de la baguette car il n'en vit pas, nous si."
Avec son annonce de la baguette de pain vendue à moins de 30 centimes, Michel-Edouard Leclerc a réussi son coup. Depuis deux jours, son opération est sur toutes les bouches. Et la polémique enfle. "C'est un coup politique et démagogique", dénoncait ce jeudi sur BFMTV Christiane Lambert, présidente de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA).
"S'il se permet de la vendre à 29 centimes, ça veut dire que quand il la vend 60 ou 70 centimes, il se fait un pognon de dingue. [...] Il méprise aussi le travail de ses salariés car du coup, ils travaillent pour rien", déplore Christiane Lambert.
Une baguette de pain plus abordable
En France, selon l'Insee, la baguette de pain de 250 grammes est vendue en moyenne 90 centimes. Un prix en légère hausse mais pas de quoi mettre en péril le pouvoir d'achat des Français. D'ailleurs, toujours selon l'Insee, le pain n'a jamais été aussi accessible en France. Alors qu'il fallait 10,2 minutes de travail à un salarié payé au "Smic" en 1970 pour s'offrir sa baguette, ce temps n'est en 2021 plus que de 5,2 minutes.

Dans un contexte de flambée des matières premières avec un cours du blé tendre qui a pris 36% en un an, l'énergie 15% et les emballages 20%, les boulanger sont souvent contraints d'augmenter leurs tarifs pour ne pas sacrifier leurs marges.
Pas la grande distribution qui ne gagne pas d'argent avec la boulangerie. Selon un calcul de 60 Millions de consommateurs, quand un artisan boulanger dégage une marge avant impôt d'environ 12 centimes sur une baguette à 90 centimes, une enseigne de grande distribution perdrait elle 1 centime par baguette vendue 50 centimes en moyenne. Calcul qui a de plus été réalisé avant la flambée récente des matières premières.
"Plus d'un an que la baguette est à ce prix"
Matières premières achetées moins chers en jouant sur les volumes, masse salariale réduite, coûts fixes (cuisson, électricité, loyers...) proportionnellement moins importants que sur une petite boulangerie... C'est en jouant sur les volumes que la grande distribution peut se permettre de vendre deux fois moins cher sa baguette de pain.

"C'est un produit d'appel parmi d'autres pour eux, résume Dominique Anract. Ils écrasent tout de toute façon: les prix de la farine, les prix du pain, les salaires de leurs employés..."
Si l'opération de Leclerc passe mal, elle n'a rien de nouveau en fait. Sur Instagram, Michel-Edouard Leclerc dénonce d'ailleurs l'hypocrisie de ceux qui alimentent la polémique.
"Ca fait plus d'un an que la baguette blanche 1er prix est vendue (sans problème) entre 0.24 et 0.32 euro dans les centres E.Leclerc, mais aussi dans les magasins concurrents, indique-t-il. Une enseigne en a d'ailleurs fait une opération nationale à 0.29 euro il y a quelques mois, sans que la FNSEA n'y trouve à redire."
Le spécialiste de la grande distribution Olivier Dauvers qualifie d'ailleurs ce prix de 29 centimes de "banal" pour une baguette de pain en grande distribution.
En 2011 déjà, Lidl avait suscité l'ire des boulangers du Doubs en communiquant sur une baguette de pain vendue 29 centimes. "Ils tuent la profession", s'alarmait alors dans L'Est Républicain un boulanger qui organisait des raids dans les magasins Lidl contre le "pain low-cost".
55% du pain vendu en boulangerie
La boulangerie risque-t-elle de pâtir de cette guerre des prix du pain?
"Pas les grosses mais les petites dans les villages qui vendent pas plus de 300 baguettes par jour certainement, appréhende Dominique Anract. Si Leclerc leur "prend" 100 ou 200 baguette par jour, ça peut être difficile."
Le secteur de la boulangerie se porte paradoxalement plutôt bien malgré la flambée des coûts et la concurrence de la grande distribution. Si le nombre de boulangeries a fortement reculé entre 1990 et 2010, il est depuis reparti à la hausse. Le pays compte à date 33.000 boulangeries qui réalisent l'essentiel de la vente de pains.
En 2021, les boulangeries ont réalisé 55% des ventes de pain dans le pays devant les terminaux de cuisson (les "boulangeries" qui ne fabriquent pas elles-mêmes leurs pâte) avec 35% et la grande distribution à 10%.
