Cryptomonnaie et succession: comment organiser la transmission de ses actifs numériques?

Sur l'offre totale de 21 millions de Bitcoins, entre 3 et 4 millions seraient définitivement perdus ou inaccessibles. Perte de la phrase de récupération ou encore décès de leur détenteur, les causes peuvent être multiples. Avec la montée en puissance des cryptomonnaies dans le patrimoine des Français, la question de la succession numérique devient une véritable problématique.
Que ce soit via un notaire, une plateforme centralisée ou une solution décentralisée, une chose est sûre: la transmission des cryptomonnaies ne s’improvise pas. Le meilleur conseil reste encore de tout planifier à l’avance, tant sur le plan juridique, administratif que technique, pour éviter que vos proches ne se retrouvent démunis face à votre héritage numérique.
Le cadre juridique: une fiscalité classique mais un terrain encore flou
Contrairement à ce que l'on peut imaginer, la loi française ne traite pas les cryptomonnaies comme une catégorie à part. En cas de décès, elles entrent dans l’actif successoral, comme n’importe quel autre bien (immobilier, actions, assurance-vie…).
La valeur retenue est celle au jour du décès, selon l’administration fiscale. Cela peut poser un problème majeur de volatilité: si le bitcoin chute entre-temps, l’héritier pourrait se retrouver à payer des droits de succession sur une valeur fictive bien supérieure à ce qu’il récupère réellement. Comme pour les autres biens, l'hériter bénéficiera d'un abattement et d'un barème qui dépendront de sa situation et de son lien de parenté avec le défunt
Autre difficulté: l’identification et la récupération des actifs. Contrairement à un compte bancaire, il n’existe aucun registre centralisé recensant les portefeuilles ou les comptes crypto d’une personne. C’est donc à l’utilisateur d’anticiper et d’organiser la transmission de ces informations.
Le conseil des notaires est simple: établir un testament clair, désigner les héritiers et documenter les accès aux plateformes ou portefeuilles (mots de passe, clés privées, phrases de récupération).
Les plateformes de trading: des démarches administratives lourdes mais sécurisées
Pour les comptes ouverts sur des plateformes d’échange centralisées comme Binance, Coinbase, Kraken déclarés en tant que PSAN (Prestataire de services sur actifs numériques), les héritiers doivent suivre une procédure proche de celle des banques:
- Fournir un certificat de décès
- Présenter un testament ou une attestation d’héritier
- Fournir des justificatifs d’identité
Ces procédures sont encadrées par la loi et les plateformes réglementées sont tenues de collaborer avec les héritiers dès lors que les documents sont en règle.
Mais attention: les héritiers doivent déjà savoir que ces comptes existent. Si l’utilisateur n’a rien documenté, ces fonds peuvent dormir indéfiniment sur les plateformes, faute de réclamation. Surtout si ces plateformes sont basées à l'étranger, les procédures peuvent devenir très complexes en fonction des cas. C'est pourquoi il faut toujours privilégier l'utilisation de plateforme reglementées en tant que PSAN.
La DeFi et les wallets: la transmission la plus complexe
Dans l’univers décentralisé (wallet physique dit "cold-wallet" comme Ledger ou "hot wallet" comme Metamask sur des blockchains comme Ethereum ou Solana), personne n’a accès aux fonds sauf celui qui détient les clés privées. Pas de service client, pas de récupération en cas d’oubli.
Si le détenteur décède sans avoir transmis ses phrases de récupération, ses mots de passe, ou l'endroit où il a caché sa clé Ledger, les actifs peuvent être perdus à jamais.
Pour répondre à ce défi, des startups émergent et proposent des services avec des solutions innovantes.
Legapass, une startup française, propose par exemple un service qui permet de stocker en toute sécurité les accès numériques: phrases de récupération, mots de passe, clés privées. Ces données sont chiffrées et stockées sur des serveurs en France, sans jamais être accessibles par les équipes de Legapass. En cas de décès, l’héritier désigné peut récupérer ces informations sous contrôle d’un huissier de justice, après vérification des pièces justificatives (acte de décès, identité, testament). Ce modèle vise à recréer une expérience sécurisée et encadrée, proche de celle d’un coffre-fort numérique, pour éviter que les fonds ne soient perdus ou oubliés. Legapass s’adresse aussi bien aux particuliers qu’aux professionnels souhaitant anticiper la transmission de leurs actifs numériques.
D'autres structures optent pour une solution décentralisée, à l'image de Sead, une startup belge, qui a concu un programme totalement hors-ligne qui permet de gérer seul la succession de ses actifs numériques sans passer par un tiers:
- L'utilisateur peut programmer l’envoi automatique de messages à ses héritiers après une période d’inactivité.
- Ces messages peuvent contenir des instructions, des phrases de récupération, des mots de passe, ou même des vidéos explicatives.
- Le système fonctionne hors-ligne, sans serveur central, garantissant la confidentialité des données.
Par exemple, si une personne définit une période d’inactivité de 6 mois, et ne se reconnecte plus à sa boîte mail, le système envoie automatiquement les informations nécessaires à la personne désignée. Une manière de venir son propre notaire dans le Web3.