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Quand TF1 réclame son dû à Joann Sfar sur le Chat du rabbin

Le film a coûté 10,5 millions d'euros

Le film a coûté 10,5 millions d'euros - Autochenille

SÉRIE D'ÉTÉ: LES STARS DANS LE PRÉTOIRE. L'adaptation au cinéma de la bande dessinée ayant rencontré un certain succès, Canal Plus a versé plus d'argent que prévu à la société de Joann Sfar, qui n'aurait pas partagé cette prime avec ses co-producteurs, TF1 et France Télévisions.

En 2002, Joann Sfar publie Le chat du rabbin. Cette bande dessinée s'avère un immense succès, avec plus d'un million d'exemplaires vendus, selon son éditeur Dargaud.

Quelques années plus tard, Joann Sfar décide de l'adapter au cinéma en dessin animé. Pour cela, il crée mi-2007 une société de production avec Antoine Delesvaux et Clément Oubrerie, chacun ayant un tiers du capital. Ils la baptisent Autochenille Production SAS, en référence au véhicule utilisé dans la bande dessinée par le rabbin et son chat pour traverser l'Afrique. Producteur délégué du film, cette société apporte au budget 1,74 million d'euros en cash. 

Argent en circuit fermé

En réalité, cette somme (et même plus) repart dans les poches de Joann Sfar et de ses partenaires, indique le budget du film publié par cinefinances.info:

-Joann Sfar et sa compagne Sandrina Jardel se partagent 467.000 euros pour le scénario (+0,5% chacun des recettes des entrées en salles)
-Joann Sfar et Antoine Delesvaux reçoivent 391.920 euros pour la réalisation (+0,5% chacun des recettes des entrées en salles)
-Joann Sfar, Antoine Delesvaux et Clément Oubrerie se partagent 470.773 euros de salaire producteur
-Autochenille Production SAS reçoit 659.082 euros pour couvrir ses frais généraux

Quoiqu'il en soit, ce montant est loin de couvrir le budget conséquent de 10,5 millions d'euros. Joann Sfar va donc frapper aux portes pour trouver de l'argent. C'est TF1 qui fait le plus gros chèque -6,4 millions d'euros- notamment pour distribuer le film en salles, en vidéo et à l'étranger. France Télévisions et Canal Plus rajoutent 900.000 euros chacun pour pouvoir diffuser le film.

La prime de la discorde

Finalement, le film sort le 1er juin 2011, et rencontre un certain succès, avec 500.764 entrées en France selon JP Box Office, plus un César du meilleur dessin animé. Or, si le film dépasse 500.000 entrées en salles, les accords entre Canal Plus et la filière prévoient que la chaîne cryptée verse une prime au producteur délégué. Mais ces accords avec la filière ne stipulent pas si cette prime doit ensuite être partagée (ou non) avec les autres co-producteurs. Cette décision relève des co-producteurs, pour chaque film.

Dans notre cas, la prime au succès s'élève à 449.722 euros. Selon TF1, les accords de co-production du film prévoient que cette prime soit partagée avec les autres co-producteurs (TF1 et France Télévisions). Mais Autochenille Productions SAS fait la sourde oreille, et garde toute la prime pour lui.

Prescription

En janvier 2014, TF1 envoie donc une mise en demeure à Autochenille Productions SAS, qui fait la sourde oreille. En mai 2014, la Une porte donc plainte devant le tribunal de commerce de Paris, d'abord en référé puis au fond, réclamant 65% de la prime, soit 294.014,5 euros. Devant le tribunal, Autochenille Productions SAS contre-attaque, et se met à réclamer 740.584 euros à TF1. Puis argue que le tribunal est incompétent, et que le litige doit être tranché par un arbitre.

De manière étrange, TF1 va ensuite "oublier" l'affaire, et n'accomplir plus aucun acte de procédure. Au bout de deux ans, la plainte devient donc prescrite. Autochenille Productions SAS demande alors au tribunal de classer l'affaire, expliquant: "il y a eu de nombreuses discussions entre les parties pour tenter, en vain, de parvenir à un accord". De manière tout aussi étrange, TF1 déclare ne pas s'y opposer. Les deux parties de disputent juste sur qui va payer les frais de procédure... Finalement, en novembre 2017, le tribunal classe donc l'affaire.

Chat échaudé craint l'eau froide

A fin 2013, Autochenille Productions SAS avait donc produit deux films (Le chat du rabbin et Aya de yopougon), et cumulé 1,2 million d'euros de profits nets.

Ensuite, Joann Sfar s'est lancé dans une adaptation d'une autre de ses BD, Petit vampire, qui est aussi produite par Autochenille Productions SAS. Ce film au budget de 8 millions d'euros doit sortir le 3 avril 2019. France Télévisions et Canal Plus ont remis au pot, mais pas TF1...

Surtout, Joann Sfar s'est lancé dans une adaptation en live du Chat du rabbin, avec Christian Clavier dans le rôle du rabbin, et Omar Sy pour la voix du chat. C'est d'abord le producteur Denis Karvil qui lui a acheté en 2015 une option pour produire ce film, budgété à près de 15 millions d'euros. "Je tenais à ce que Joann Sfar soit scénariste, ou co-scénariste, car c'est lui l'âme de la bande dessinée. Mais Joann Sfar m'a dit qu'il n'arrivait pas à écrire le scénario. J'ai préféré alors rendre mon option", explique Denis Karvil. Désormais, c'est Christian Clavier qui essaierait de monter le projet. "Il nous manque un peu d'argent. On attend des gens pour financer le budget", a expliqué Joann Sfar en novembre 2017 sur Europe 1.

Contacté, TF1 n'a pas souhaité faire de commentaires, tandis que l'avocat d'Autochenille, François Ronget, n'a jamais répondu.

le budget du chat du rabbin (en euros)

TF1: 6,4 millions
dont minimum garanti distribution salles +vidéo +étranger: 4,5 millions
co-production: 1,94 million

Autochenille Production: 1,74 million

France Télévisions: 900.000 euros
dont co-production France 3: 450.000 euros
prévente: 450.000 euros

Canal Plus: 890.875 euros
dont prévente Canal+: 757.875 euros
prévente Canal+ Overseas: 3.000 euros
prévente Ciné+: 130.000 euros

Sofica Valor 7: 500.000 euros

Fondation Gan: 60.000 euros

Naïve: 10.000 euros

Procirep: 7.500 euros

Source: cinefinances.info

les résultats d'autochenille production sas (en euros)

Chiffre d'affaires
2007: 12.000
2008: 420.000
2009: 590.000
2010: 494.500
2011: 401.600
2012: 353.100
2013: 113.600

Résultat net
2007: -48.000
2008: +320.000
2009: +680.000
2010: +307.000
2011: -7.700
2012: +30.200
2013: -59.000

Source: comptes sociaux

droit de réponse d'antoine delesvaux, président d'autochenille productions

Nous avons reçu le droit de réponse suivant:

"Nous avons mes associés, Joann SFAR et Clément OUBRERIE, et nos partenaires été très surpris de découvrir toutes ces informations sur notre société, Autochenille Production, et le film que nous avons produit, Le Chat du Rabbin, adapté de la bande dessinée éponyme de Joann SFAR.
Certaines informations n’étant pas conformes à la réalité que nous avons vécue, il me paraît indispensable de la rétablir dans un souci d’information du public.
Contrairement à ce que vous affirmez, nous avons eu à nous battre pour faire valoir nos droits et terminer ce film d’animation français qui a connu le succès que l’on connaît.
Le film a tout d’abord été livré et accepté en 2010 par TF1 Droits Audiovisuels comme convenu mais il nous a été demandé de le refaire entièrement en relief 3D et de modifier la séquence de fin.
Ces 2 modifications ont demandé près d’un an de travail, dont une partie seulement a été financée par TF1, le solde de près de 400.000 euros a donc été assumé directement par Autochenille Production.
L’excellent accueil du public, comme de la profession, nous a permis de bénéficier d’une partie de la prime au succès à l’instar de France 3 Cinéma et la Sofica Valor (dont TF1 est l’actionnaire).
Un différend est alors survenu. TF1 a souhaité récupérer une partie supérieure de la prime que nous avions touchée et qui avait permis de rembourser les coûts des modifications exigées. Un accord a finalement été trouvé entre nous de manière assez classique pour mettre un terme à ce litige.
Rien ne peut donc être reproché à notre société.
Par ailleurs nous souhaitons rectifier certains chiffres que vous donnez afin de dissiper tout malentendu.
Les droits de scénario versés à Joann SFAR et Sandrina JARDEL ne sont pas de 467K€ comme vous l’écrivez, car 185K€ ont été réglés au titre des droits d’adaptation de la maison d’édition Dargaud. Surtout les 282K€ restant sont des sommes brutes soumises à charges sociales.
Le film n’ayant pas généré assez de recette, aucun somme supplémentaire n’a donc été versée à ce titre ce jour.
La rémunération des réalisateurs correspond à un travail de près de 46 mois sans que les travaux supplémentaires exigés n’aient fait l’objet d’une rémunération particulière.
Joann SFAR, Antoine DELESVAUX et Clément OUBRERIE ne se sont pas partagé 470K€ de salaire producteur, aucun salaire producteur n’ayant été versé sur ce film, ni sur aucun autre film produit par Autochenille Production. L’intégralité de cette somme a été mise en participation par les producteurs au budget du film. Bien que n’ayant pas été versée, le CNC exige cependant qu’elle soit inscrite au budget du film sous cette qualification.
Autochenille Production n’a pas reçu 659K€ de frais généraux, mais 396K€ sur le budget du film et pour la durée de la production, soit 4 années, représentant moins de 100K€ par an. Surtout, cette somme n’a servi qu’à payer des frais relatifs à la production du film et non à rémunérer Joann SFAR, Antoine DELESVAUX et Clément OUBRERIE. Les 263K€ restants ont étés mis en participation du budget du film. Le CNC exige toutefois que l’intégralité des frais généraux qu’Autochenille Production aurait dû recevoir soit inscrite au budget du film.
Autochenille Production n’a jamais cumulé 1,2 millions de profit net sur les deux films produits. Cette somme correspond au montant de crédit d’impôt cinématographique reçu sur cette période, entièrement réinjecté dans la production du film.
Tous les contrats étant publics et disponibles pour tous au RCA, il est facilement possible de vérifier ces faits"

Jamal Henni et Simon Tenenbaum