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Quand Luc Besson tire profit de la cité du cinéma de Saint-Denis

Luc Besson en 2012 lors de l'inauguration de la cité du cinéma

Luc Besson en 2012 lors de l'inauguration de la cité du cinéma - BFM Business

SÉRIE D'ÉTÉ: LES STARS DANS LE PRÉTOIRE. En 2007, EuropaCorp a cédé le projet immobilier de cité du cinéma, sise à Saint-Denis, près de Paris, à une société personnelle de Luc Besson. Le cinéaste a ainsi assumé les risques du projet, mais aussi empoché les bénéfices, qu'il a ensuite refusé de partager...

En 1996, Luc Besson tourne Le cinquième élément à Pinewood près de Londres, faute d'avoir trouvé en France des studios capables d'accueillir ce tournage. Il conçoit alors le projet de la cité du cinéma, et songe à l'installer dans une ancienne centrale EDF désaffectée à Saint-Denis, où il a tourné une scène de Léon trois ans plus tôt.

En 2003, il crée une filiale, EuropaCorp Studios SAS, pour porter le projet. Fin 2006, cette filiale achète le terrain à EDF pour 3,85 millions d'euros.

Mais notre homme est parallèlement en train de mettre en bourse son studio EuropaCorp, dont il détient 73%. Il décide alors de sortir EuropaCorp Studios SAS d'EuropaCorp pour l'apporter à une nouvelle société crée pour l'occasion: Mondialum SAS. Il conserve pour lui 51% du capital de cette nouvelle société, et associe trois personnes qui travaillent sur le projet: Achille Delahaye (24%), l'avocat Didier Martin (24%) et Paul Kistner (4%).

Officiellement, l'objectif est de ne pas mélanger dans EuropaCorp un studio de cinéma et un projet immobilier, afin de ne pas rebuter les petits porteurs. Mais il y a aussi une autre explication: ce transfert permet aussi aux bénéfices générés par le projet immobilier de rester chez Luc Besson et ses amis, et de ne pas être distribués à EuropaCorp, et notamment aux petits porteurs.

Opération blanche

En pratique, l'affaire s'avère une opération blanche pour EuropaCorp, qui n'a rien perdu ni rien gagné, indiquent ses comptes. En effet, EuropaCorp récupère une somme symbolique (15.633 euros) lors de la vente d'EuropaCorp Studios SAS. Quelques années plus tard, EuropaCorp se voit aussi rembourser l'argent avancé à EuropaCorp Studios SAS (5,9 millions d'euros) pour acheter le terrain et obtenir les permis de construire.

Certes, il était prévu que EuropaCorp perçoive des intérêts de 4% l'an sur cette dette, mais fort généreusement, EuropaCorp y renonce finalement, faisant ainsi une croix sur 599.000 euros.

Certes, au moment du transfert, la valeur du terrain et des permis avait été expertisée par un spécialise de l'immobilier, CBRE (Coldwell Banker Richard Ellis). Ce spécialiste avait estimé leur valeur à 13 millions d'euros, soit deux fois plus que ce qui avait été dépensé. Il fut alors convenu que cette plus-value (5,475 millions d'euros) serait versée plus tard à EuropaCorp. Toutefois, une condition fut imposée pour le versement de ce complément: qu'un contrat de promotion immobilière soit signé avant fin 2008. Las! Ce contrat ne fut signé avec Vinci qu'au printemps 2009, et EuropaCorp ne reçut donc jamais aucun complément de prix.

5,3 millions de profits sur le projet immobilier

EuropaCorp Studios SAS a donc mené la construction de la cité du cinéma comme maître d'ouvrage, commandant d'abord les travaux, puis revendant ensuite les bâtiments pour 162 millions d'euros (131 millions pour les bureaux et 30 millions pour les studios), soit avec une plus-value par rapport au coût de revient.

Précisément, le bénéfice net dégagé sur l'exercice clos fin mars 2013 à la livraison du projet immobilier s'est élevé à 5,3 millions d'euros, indiquent les comptes d'EuropaCorp Studios SAS (*). Si l'on soustrait les dépenses engagées précédemment, il reste encore 2,8 millions d'euros de profits nets.

Entre temps, vers 2008, Achille Delahaye et Didier Martin ont revendu leurs parts à Luc Besson, et ils ne voient donc pas la couleur de ces profits. Il ne reste plus que deux actionnaires pour se partager ce bénéfice: Luc Besson (avec 96% du capital) et Paul Kistner (4%).

Paul Kistner travaille pour Luc Besson depuis 2002: il a été le secrétaire général de sa holding personnelle Front Line, puis le directeur du projet de la cité du cinéma. Lorsqu'il part en 2011, il demande donc à se faire racheter ses 4%, mais Luc Besson refuse.

Bataille juridique âpre et absurde

Ces 4% vont alors donner lieu à une âpre bataille juridique de cinq ans, d'autant plus absurde que le montant en jeu est faible. Paul Kistner valorise la société à 3,3 millions d'euros, et donc réclame 132.000 euros pour ses 4%. Luc Besson propose quatre fois moins, soit 40.000 euros.

Face au refus de Luc Besson, Paul Kistner s'appuie sur les statuts de la société qui imposent qu'on lui rachète ses actions. Et qu'en cas de désaccord sur le prix, celui-ci soit fixé par un expert. Et qu'en cas de désaccord sur l'expert, cet expert soit désigné par le tribunal de commerce de Paris.

Bâtons dans les roues

Paul Kistner obtient donc la nomination d'un expert. Mais Luc Besson fait tout pour lui mettre des bâtons dans les roues. D'abord, il ne veut payer que la moitié de l'expertise. Mais Paul Kistner estime que Luc Besson, détenant 96% du capital, doit payer 96% de l'expertise. Il saisit la justice qui lui donne raison.

Ensuite, Luc Besson refuse de fournir des documents à l'expert, qui ne peut donc pas travailler. Paul Kistner retourne alors devant le tribunal, qui ordonne à Luc Besson de fournir les documents, sous peine d'une amende de 250 euros par jour de retard. Mais Luc Besson n'obtempère toujours pas. Paul Kistner saisit alors une nouvelle fois la justice, qui condamne Luc Besson à payer 15.000 euros correspondant à deux mois d'amendes, et ajoute une nouvelle astreinte de 50 euros par jour.

Luc Besson fournit alors une partie des documents demandés, mais pas tous, au prétexte que certains n'existent pas, ou qu'ils "concernent des parties tiers à la procédure". Une nouvelle fois, Paul Kistner retourne voir le juge, qui condamne Luc Besson à payer 4.500 euros d'astreintes supplémentaires, plus 6.000 euros de dommages et intérêts pour "résistance abusive". Luc Besson fait même appel, mais en vain.

Entre temps, l'expert décide qu'il fera son rapport sans les dernières pièces que Luc Besson ne veut pas donner. Il rend finalement son rapport en avril 2016. Suite à cela, Luc Besson rachète enfin les 4% de Paul Kistner, pour un montant inconnu. Peu après, il dissout la société...

Interrogés, EuropaCorp n'a pas souhaité faire de commentaires, tandis que Front Line (la holding personnelle de Luc Besson), Achille Delahaye, Didier Martin et Paul Kistner n'ont jamais répondu.

(*) EuropaCorp Studios SAS a vendu le projet immobilier en mars 2010 sous la forme d'une VEFA (vente en l'état futur d'achèvement). "Le résultat de l'opération cité du cinéma est comptabilisée selon la méthode de l'avancement", indiquent ses comptes. C'est-à-dire que le bénéfice a été constaté à l'achèvement du projet en 2012, et pas avant. 

Jamal Henni