Comment le casque de réalité virtuelle peut aider pour lutter contre les phobies

"Sur une échelle de 1 à 10, quel est votre niveau d’anxiété?" C’est la question que pose régulièrement Pierre Gadea à notre journaliste Laure. Casque de réalité virtuelle (VR) sur les yeux, elle a accepté de participer à une petite expérience durant laquelle ses nerfs sont mis à rude épreuve. Pierre Gadea est chargé du développement commercial de C2Care, une entreprise française qui fournit une solution numérique pour des patients atteints de troubles anxieux dont des phobies. Et pour l'occasion, Laure a décidé de jouer les cobayes.
L’une des spécialités de C2Care est C2Phobia: le patient porte donc un casque de réalité virtuelle et est immergé dans un monde aux airs de jeu vidéo. Les différents univers développés par l'entreprise permettent au patient de faire face à sa phobie: peur de l’avion, de conduire ou encore peur du vide. Pour cette essai, Pierre Gadea se met à la place d'un professionnel de santé, dont la présence est toujours obligatoire à chaque session.

Laure a une véritable peur du vide. Alors même que le matériel n'est pas encore installé, elle commence à stresser. Elle enfile le casque le casque de VR, l'encadrant lui précise que la priorité est "d'aller à son rythme". L’idée pour C2Care est de personnaliser l’expérience au maximum pour le patient en sélectionnant différents paramètres comme le type d’environnement souhaité, le niveau de difficulté ou encore la taille…Dans un premier temps, Laure prend un petit moment pour s’habituer à l’environnement, elle est entourée d’immeubles, au milieu d'une foule. Vient ensuite l’étape tant redoutée: prendre de la hauteur.
Direction le 15ème étage d’un immeuble. Laure se déplace dans le jeu à l’aide de manettes. Pierre Gadea continue de personnaliser l'expérience: une passerelle en béton ou en verre? Avec ou sans rambarde sur les côtés?
"Vous vous sentez capable d’avancer?" demande-t-il à Laure. "On peut essayer", rétorque-t-elle, peu rassurée.
Il lui précise également qu’elle peut arrêter à tout moment. Laure doit désormais avancer vers la passerelle mais cette étape s'avère plus compliquée que prévue: "Oh je ne peux pas!"

Malgré des graphismes plutôt rudimentaires, ses sensations sont donc très réalistes. Le chargé de développement décrypte son comportement physique: "Vous voyez là ses jambes se raidissent, son visage se ferme, ses mains sont crispées, les bras le long du corps, son corps réagit, elle est dans une situation de véritable inconfort".
Pour éviter une crise de panique, Laure est invitée à respirer calmement et redescend de plusieurs étages. Au cinquième, elle délaisse les manettes et se déplace à présent physiquement. Elle doit traverser une passerelle en béton. Jusqu’ici tout va bien. Mais lorsque des cordes font leur apparition à la place de la rambarde et qu’elle doit s’approcher du vide, cela devient plus difficile.
Une exposition graduelle
Alors même que le casque de réalité virtuelle est avant tout considéré comme du divertissement, il s’agit bien là d’un dispositif médical. Tout cela implique un protocole bien particulier.
"Il ne faut surtout pas chercher à jouer aux apprentis sorciers", tient à souligner Pierre Gadea. "Nous faisons une thérapie d’exposition graduelle qui consiste à mettre le patient en situation face à sa plus grande peur."
Jusqu’ici l’exercice se faisait dans la vie réelle, mais certaines situations comme la peur du vide peuvent être dangereuses. "Alors le casque de VR peut être une bonne solution".
Lancé il y a six ans par un ingénieur, un médecin et un chargé de développement commercial, C2Care s'occupe des développements des logiciels et des différens environnements proposés. Une équipe d'une dizaine de thérapeutes affiliés à la société accompagnent les patients durant les sessions.
"Si le patient suit une séance par semaine durant trois mois et les entraînements autonomes rendus possibles grâce au casque, la phobie peut disparaître", assure Pierre Gadea. Tous les patients sont obligatoirement accompagnés par un thérapeute en présentiel ou à distance pour le guider.
Et l’entreprise est loin de faire ce qu’elle veut en matière de développement de ses solutions. "Cela prend environ quatre ans entre une étude et la mise en place concrète", précise-t-il. "Il s’agit de répondre à un appel à projet, de passer par la validation scientifique, le Comité de protection des personnes valide ou non si le projet est éthiquement viable, puis nous réunissons ensuite des cohortes de patients".

Le docteur Eric Malbos est psychiatre au CHU Conception de Marseille et spécialiste du traitement en réalité virtuelle. "C’est d’ailleurs pour mes compétences en la matière que le CHU est venu me chercher", tient-il à préciser. Il fait partie de ces médecins qui aident C2Care à développer ses logiciels en donnant un avis médical au moment de l’élaboration de nouveaux environnements.
Pour lui, l'intérêt de la VR est la possibilité de pouvoir s’exposer à une situation de phobie de manière graduelle.
"La VR permet de s’habituer à la situation, et de le faire par étapes, et d'avoir un certain contôle, ce qui n’est pas toujours possible dans des situations d'expositions réelles comme l’avion avec les turbulences, contrôler un chien qui s'approche ou la vitesse du métro…".
Avec ses patients, il procède à 11 sessions. "C’est la moyenne pour une thérapie en VR. Je fais 5 sessions en groupe pour apprendre à gérer ses émotions puis 6 sessions avec le casque. Le thérapeute accompagne vraiment le patient, et peut voir sa progression". Selon les tests réalisés par C2Care a posteriori des sessions avec les patients, le taux de réussite du dispostif est estimé à 85%.
“Avoir moins recours aux médicaments"
Le casque de réalité virtuelle a également trouvé sa place dans les blocs opératoires pour de l’hypnose médicale virtuelle. L’entreprise strasbourgeoise Hypno VR "a pour ambition de traiter la douleur et l’anxiété de façon non médicamenteuse en associant l’hypnose médicale à la VR", explique à Tech&Co Nicolas Schaettel, cofondateur de la société, passé par Microsoft et Paypal.
Hypno VR est née fin 2016 de l’idée deux médecins qui ont présenté leur projet au Hacking Health Camp à Strasbourg. C'est sur cette base qu'a été créé l’entreprise.
Hypno VR a développé un logiciel fonctionnant sur une large gamme de casques qui "emmène le patient dans un monde de confort et de sécurité lui permettant d’avoir moins mal, de recourir à moins de médicaments et de récupérer plus vite", précise Nicolas Schaettel.
Le casque peut être utilisé avant, pendant ou après une opération ou par exemple pour des séances de chimiothérapies ou des dialyses. "Avant pour diminuer le stress, pendant en complément d’anesthésie locale ou générale, après pour traiter des douleurs", complète le cofondateur.
Tech&Co pu tester le casque pour avoir une idée de l’expérience. Tout comme C2Care, l’objectif est de proposer une expérience la plus personnalisée possible. Le patient choisit un lieu dans lequel il souhaite être immergé (une plage, la montagne, un jardin asiatique…), un univers visuel, une voix… Le médecin va aussi les choisir en fonction du type d’opération. Hypno VR mixe également musicothérapie et suggestions hypnotiques.
Pour l'essai, nous avons choisi une forêt enneigée, avec une voix féminine qui invite à observer sa respiration. Les formulations sont similaires à celles de cours de yogas. Dans le casque, une porte au milieu d’un ciel semblable à l’univers, une porte un peu magique, presque mystique. Elle finit par s’ouvrir et la forêt enneigée apparaît.
Au milieu de l'écran, il y a une petite boule blanche. Petit à petit, le patient avance dans cette forêt, des animaux apparaissent, des flocons tombent lentement. Cela donne un peu l’impression d’être dans un dessin animé.
Puis, petit à petit, tout est fait pour se laisser happer par le décor et la voix. Dans cette forêt, le soleil se lève, la lumière se réchauffe, et le patient est invité à profiter de ce moment qu'il m’accorde, à relâcher tous ses muscles et à prendre conscience de son corps.
Au terme des dix minutes, la séance se termine et amène le patient au bout de la forêt vers un endroit où plusieurs feux de camp sont allumés. Pour finir, la voix indique que "cette journée va parfaitement bien se dérouler".
"Ce qui compte surtout c’est l’après"
Mais tout le monde peut-il être suggestible et l’utiliser?
"Entre 80 et 90% de la population est réceptive à l'hypnose donc cela nous donne un champ assez large d’application. En revanche, il existe quelques contre-indications comme des patients épileptiques, atteints de troubles de la personnalité ou claustrophobes", indique le cofondateur.
L'outil d'Hypno VR est également un dispositif médical qui doit respecter un certain nombre de normes. "Nous avons démontré l'efficacité clinique de notre dispositif à travers plus de 15 études. Nous respectons les normes européennes en vigueur pour permettre aux hôpitaux de les utiliser en toute sécurité". Hypno VR est utilisé dans plus de 350 établissements de santé dans cinq pays dont la France.
Tous ces dispositifs de réalité virtuelle, que ce soit celui de Hypno VR ou de C2Care, suscitent aussi bien la curiosité que des interrogations. Bien que le patient soit toujours accompagné par un professionnel de santé, ces casques ont tout même vocation à faire évoluer les pratiques vers le tout numérique.
Le docteur Antoine Pelissolo, chef du service de psychiatrie de l'hôpital Henri Mondor à Créteil, collabore avec C2Care pour donner son avis sur l’aspect médical et faire remonter les besoins dans la création de nouveaux environnements. Lui, voit plutôt le casque de VR comme un outil complémentaire: "cela ne peut pas remplacer complètement des séances présentielles", par exemple le fait qu'une personne phobique doit aussi se confronter au réel.

Les casques de VR permettent une approche moins anxiogène pour faire des séances plus intensives mais ce dispositif se heurte à de nombreuses limites. "Tous les professionnels de santé ne sont pas enclins à l’insérer dans leur pratique professionnelle car cela demande de la disponibilité, d’être formé, et de se dégager du temps supplémentaire".
"Ce qui compte surtout c’est l’après. On peut observer la réussite d’un tel dispositif si le patient transpose sa progression en situation réelle. L’utilisation d’un casque de VR doit ensuite s’accompagner de mise en situation réelle pour continuer le travail", souligne-t-il.
Même si l'efficacité est désormais démontrée avec des études qui sortent sur le sujet depuis 20 ans, certains patients sont aussi réticents. C'est donc plutôt un public jeune qui se laisse tenter par l'expérience.