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Le financement du cinéma français désavoué par la justice européenne

Le nouveau siège du CNC

Le nouveau siège du CNC - Google Street view

INFO BFMTV. La cour de justice européenne juge que le système de financement du CNC (Centre national du cinéma) n'a pas respecté le droit européen durant des années.

Le financement du cinéma français était illégal depuis des années. C'est le verdict que vient de rendre la Cour de justice européenne. Précisément, elle a jugé contraire aux droit européen le financement du CNC (Centre national du cinéma), l'établissement public qui distribue des subventions aux films français. Le CNC est financé par des taxes prélevées sur les billets de cinéma, les ventes de DVD, les services de vidéo-à-la-demande, les chaînes de télévision, les opérateurs télécoms...

Aides d'Etat

Juridiquement, ces taxes constituent des aides d'Etat. Elles doivent donc être approuvées par Bruxelles, et respecter les textes européens. Notamment un règlement datant de 2004 et qui stipule:

"Une augmentation de plus de 20% du budget d’un régime d’aides autorisé [constitue] une modification apportée à une aide existante [et] est notifié [à la Commission]"

Problème: le produit des taxes a subi une augmentation largement supérieure à 20%. Comme l'écrit la Cour dans son arrêt:

"La Commission a autorisé, s’agissant du produit annuel des taxes, un montant maximal d’environ 557 millions d’euros. Or, le montant du produit annuel de ces taxes a augmenté jusqu’à environ 806 millions d’euros en 2011. Ainsi, l’augmentation que le budget des régimes d’aides a connue par rapport au budget autorisé, dépasse nettement le seuil de 20%".

Taxe sur les télécoms

Cette explosion des recettes du CNC est due à l'instauration en 2007 d'une taxe sur les opérateurs télécoms. Avant de l'instaurer, Paris avait demandé le feu vert de Bruxelles, et promis que le rendement de cette taxe serait compris "entre 11 et 16,5 millions d'euros par an". En réalité, cette taxe a rapporté jusqu'à 20 fois plus, et atteint 207 millions d'euros en 2011, devenant ainsi une des principales ressources du CNC. Or, malgré cette augmentation, Paris n'a jamais demandé un nouveau feu vert à Bruxelles. Comme l'écrit la Cour:

"L’augmentation réelle que le produit global des taxes a connue [grâce à la taxe sur les télécoms] a nettement dépassé les prévisions fournies à la Commission, à savoir 16,5 millions d’euros par an. Cette augmentation s’est élevée à 67 millions d’euros en moyenne pendant cette période. Sauf à rester inférieure au seuil de 20%, une telle augmentation du budget par rapport au budget autorisé par la Commission constitue une modification d’une aide existante".

Conséquences limitées

Toutefois, les conséquences de cet arrêt de la justice européenne devraient être limitées. D'abord, Paris va peut être devoir demander un nouveau feu vert à Bruxelles (interrogé sur ce point, le CNC n'a pas répondu).

Ensuite, les taxes prélevées de manière illégale devraient être remboursées, mais uniquement aux plaignants ayant contesté ces taxes. En pratique, il s'agit uniquement de la Fnac et de Carrefour, qui devraient se voir rembourser la taxe vidéo qu'elles ont versé entre 2008 et 2011, soit quelques millions d'euros. En effet, cette taxe s'élève à 2% du chiffre d'affaires réalisé dans la vente et la location de DVD, ainsi que les services de vidéo-à-la-demande.

Toutefois, les remboursements auraient pû atteindre plusieurs centaines de millions d'euros. Car au départ, une centaine de redevables avaient contesté -avec exactement le même argument- l'obole versée au CNC: de grandes sociétés comme SFR (groupe Altice, propriétaire de ce site) qui contestait le versement de 197 millions d'euros, M6 (72 millions d'euros), Canal Plus (15 millions d'euros), Bouygues Telecom (24 millions d'euros), mais aussi près de 80 vidéo-clubs.

Mais ces autres contestataires ont été déboutés par le tribunal administratif, puis la cour d'appel, et ont alors lâché l'affaire -ce dont ils doivent se mordre les doigts aujourd'hui... Seuls la Fnac et Carrefour sont allés jusqu'au Conseil d'Etat, qui a jugé nécessaire d'interroger la Cour de justice européenne. Pour se faire rembourser, les deux grandes surfaces doivent désormais attendre un arrêt définitif du Conseil d'Etat, mais ce dernier devra respecter l'analyse de la Cour de justice européenne.

Multiples condamnations

A noter que ce n'est pas la première fois que les taxes finançant le CNC sont jugées illégales. En 2011, le tribunal administratif avait jugé que la taxe sur les chaînes de télévision n'avait pas été notifiée à temps, et avait donc remboursé 30 millions d'euros à TF1. Concernant la taxe vidéo, elle a été jugée illégale entre juin 2003 (date à laquelle Paris l'a modifiée) et mars 2006 (date à laquelle cette modification a été approuvée par Bruxelles), et a donc été remboursée par Bercy aux vidéo-clubs en faisant la demande. La taxe sur les SMS a été jugée contraire à la Constitution, suite à un recours de TF1. De même que la taxe sur les chaînes de télévision, suite à un recours de W9...

Interrogé, l'avocat de Carrefour et de la Fnac, Eric Meier, n'a pas souhaité faire de commentaires. De son côté, le CNC a seulement répondu: "le Conseil d’Etat se prononcera, parmi d’autres moyens, sur l’existence ou non d’un lien contraignant d’affectation entre les taxes affectées au CNC et les aides du CNC, qui est la prémisse à toute obligation de notification". A noter que, selon le rapporteur public du Conseil d'Etat, un tel lien contraignant entre les taxes et les aides existe bel et bien.

les différents recours

Vidéo-clubs
Près de 80 vidéo-clubs portent plainte devant les tribunaux administratifs (qui les déboutent entre 2009 et 2013), puis les cours administratives d'appel (qui les déboutent aussi). Mais la Fnac et Carrefour se pourvoient devant le Conseil d'Etat, qui renvoie la question à la cour de justice européenne.

Bouygues Telecom
L'opérateur porte plainte devant le tribunal administratif de Paris, qui la déboute le 18 juin 2013. L'opérateur ne fait pas appel.

M6
La chaîne porte plainte devant le tribunal administratif de Paris, qui la déboute le 18 juin 2013. La chaîne demande une question prioritaire de constitutionnalité concernant sur la taxe sur les SMS, qui est transmise au Conseil d'Etat, qui la rejette. La cour d'appel donne raison à M6 sur l'exclusion du chiffre d'affaires engrangé par des régies tierces (M6 Web...), et déboute M6 sur le reste. Aucun pourvoi en Conseil d'Etat n'est déposé.

W9
La chaîne porte plainte devant le tribunal administratif de Paris, qui la déboute le 18 juin 2013, puis devant la cour d'appel, mais en vain. W9 ne se pourvoit pas en Conseil d'Etat.

Canal Plus
La chaîne demande une question prioritaire de constitutionnalité, qui est transmise au Conseil d'Etat, qui la rejette. Sur les autres volets, la chaîne est déboutée par le tribunal administratif de Paris le 19 juin 2014, puis par la cour d'appel. Elle ne se pourvoit pas en Conseil d'Etat.

SFR
L'opérateur porte plainte devant le tribunal administratif de Paris, qui le déboute le 19 juin 2014, puis devant la cour d'appel, qui le déboute. SFR ne se pourvoit pas en Conseil d'Etat.

le produit des taxes du cnc (en millions d'euros)

2006: 495 dont distributeurs 0
2007: 512 dont distributeurs 0
2008: 532 dont distributeurs 94 dont télécoms 11
2009: 612 dont distributeurs 169 dont télécoms 66
2010: 754 dont distributeurs 278 dont télécoms 179
2011: 806 dont distributeurs 322 dont télécoms 207*
2012: 749 dont distributeurs 279 dont télécoms 164*
2013: 688 dont distributeurs 223 dont télécoms 108*
2014: 665 dont distributeurs 229
2015: 665 dont distributeurs 217
2016: 678 dont distributeurs 235 dont 15 redressement fiscal Bouygues
2017 (budget): 671 dont distributeurs 217
2018 (budget): 673 dont distributeurs 213

NB: les distributeurs sont Canal Plus et les opérateurs télécoms
Source: CNC, Cour des comptes
*estimation BFM TV

Jamal Henni