Un "Cheval de Troie": l'arrivée de l'intelligence artificielle dans l'éducation ne convainc pas tout le monde

Après l'essor de l'apprentissage en ligne forcé par la pandémie de Covid, le secteur de la tech tente de faire entrer l'intelligence artificielle (IA) dans l'éducation, malgré des doutes sur ses bénéfices.
Les professeurs secondés par des assistants numériques boostés à l'IA? Plusieurs pays ont commencé à introduire cette nouvelle technologie dans les salles de classe.
Au Royaume-Uni, enfants et parents se sont déjà habitués à une application nommée Sparx Maths, créée pour accompagner les progrès des élèves grâce à des algorithmes.
Mais le gouvernement veut aller plus loin. En août, il a annoncé un investissement de quatre millions de livres (4,7 millions d'euros) pour développer des outils d'IA à destination des professeurs, qui les aideront notamment à créer des supports de cours.
La tendance se propage, de la Caroline du Nord à la Corée du Sud.
En France, l'application Mia Seconde, boostée à l'IA, aurait dû être déployée à la rentrée 2024 pour permettre aux élèves d'accéder à des exercices de français et de mathématiques personnalisés. Avant d'être mise de côté au gré des changements gouvernementaux.
La start-up française qui avait remporté le contrat avec le ministère de l'Education nationale, EvidenceB, s'est également implantée en Espagne, et en Italie. Un exemple du virage pris par les "edtech" ("technologies de l'éducation").
"Cheval de Troie"
Les géants de la tech, qui investissent massivement dans cette nouvelle technologie, semblent aussi considérer l'éducation comme un débouché prometteur. Les américains Microsoft, Meta ou OpenAI font ainsi la promotion de leurs outils auprès d'établissements scolaires, et s'associent avec des start-up.
"Je pense que ce qui est regrettable, c'est que l'éducation soit utilisée comme une sorte de cheval de Troie pour accéder aux futurs consommateurs", commente auprès de l'AFP Manos Antoninis, directeur du Rapport mondial de suivi de l'éducation de l'Unesco.
Il se dit également préoccupé par le fait que les entreprises utilisent les données collectées à des fins commerciales, déploient des algorithmes biaisés et, dans l'ensemble, soient moins préoccupées par les résultats de l'éducation que par leurs résultats financiers.
Les sceptiques de la percée des technologies dans l'éducation n'ont pas attendu le boom de l'IA.
Au Royaume-Uni, l'application Sparx Maths laisse ainsi de nombreux parents désabusés.
"Je ne connais pas un seul enfant qui l'apprécie", indique ainsi un commentaire laissé à ce sujet sur le forum en ligne Mumsnet. Selon un autre utilisateur, l'application "ruine tout intérêt pour le sujet".
Mais les innovations ne semblent pas convaincre davantage.
Isolement
Selon des résultats publiés en mai par le Pew Research Center, seuls 6% des professeurs de lycée américains estiment que l'utilisation de l'IA dans l'éducation a plus de conséquences positives que négatives.
Des doutes également présents du côté de certains experts.
La plupart des solutions "edtech" promettent un apprentissage "personnalisé", notamment grâce à un suivi assuré via l'IA.
Un argument retenu par des responsables politiques, au Royaume-Uni et en Chine.
Mais selon Manos Antoninis, cet argument "risque de nous faire oublier qu"une grande partie de l'apprentissage est sociale, et que les enfants apprennent en interagissant les uns avec les autres".
Leon Furze, un ancien enseignant basé en Australie et désormais consultant spécialisé dans l'IA générative appliquée à l'éducation, se montre également méfiant.
"L'IA est présentée comme une solution à l'apprentissage personnalisé, mais il s'agit d'un type très spécifique de "personnalisation" qui, à mon avis, ressemble davantage à de l'isolement", déclare-t-il à l'AFP.
Si la technologie peut être utile dans certaines situations spécifiques, elle ne peut effacer le nécessaire travail humain, soutient-il.
"Les solutions technologiques ne vont pas résoudre les défis socio-économiques, culturels et politiques plus importants auxquels sont confrontés les enseignants et les élèves", poursuit Leon Furze.