Inondations: l'intelligence artificielle est-elle utilisée pour les prévisions de Météo France?

Lorsque le 20 octobre 2024, David Lisnard, maire de Cannes, réclame un audit de Météo France après les inondations qui ont touché la France, tous les regards se tournent vers l'intelligence artificielle, souvent pointée du doigt comme responsable des erreurs remarquées dans certaines des prévisions annoncées.
Mais si Météo France a bien eu une volonté de développer cette partie, provoquant d'ailleurs un mouvement social au sein de l'organisme au début de l'année 2024, l'intelligence artificielle n'est aujourd'hui pas utilisée pour calculer le temps qu'il fera dans les prochains mois, et annoncer des événements météorologiques forts, comme des inondations.
Un des problèmes des modèles d'IA météorologique, c'est qu'ils ne sont pas assez précis, explique ainsi à Tech&Co Laure Raynaud, chercheuse au Centre National de Recherche en Météorologie et spécialiste des questions sur l’IA pour Météo France.
"S'il y a une prévision qui n'est pas bonne, avec l'humain, on peut aujourd'hui essayer d'en identifier la source, alors que sur les modèles d'IA, on ne sait pas encore bien comment ils fonctionnent pour arriver à un résultat" précise-t-elle.
Pour Laure Raynaud, tout l'intérêt d'une bonne prévision météo se fait en réalité localement: "le modèle de prévision de Météo France se fait au kilomètre, là où les IA les plus avancées ont une précision de plusieurs dizaines de kilomètres. Sur les événements à fort impact, comme les inondations, elles peuvent difficilement les prévoir."
"Un changement de paradigme"
Cela ne signifie pas que les IA ne vont pas devenir plus performantes dans le futur. "On peut imaginer que dans quelques années, on pourra avoir quelques modèles de précision avec plus d'intelligence artificielle ou uniquement de l'intelligence artificielle," explique-t-elle. "C'est un changement de paradigme, ça pourrait être le cas à Météo France, sans pour autant remplacer les modèles actuels."
Mais elle en est persuadée, l'IA ne remplacera pas l'humain.
"L'empreinte humaine, on l'aura tout le temps sur les prévisions. Aujourd'hui, on dispose de physiciens, mais demain, ce seront des data scientists, qui analyseront les données" analyse-t-elle.
La peur des licenciements au sein d'une structure aussi essentielle que Météo France pourrait néanmoins avoir tendance à donner une mauvaise image de l'IA, qui est utilisée: elle sert à compiler les données des prévisions météorologiques, laissant donc plus de temps pour le reste.
D'autant que ces IA doivent se nourrir d'un travail humain: "On a besoin de données pour les faire apprendre. S'il n'y avait pas eu des dizaines d'années de recherches, rien n'aurait été possible," ajoute Laure Raynaud.
Du "volontarisme" au sein de Météo France sur l'IA
Depuis cinq ans, Météo France cherche donc à maîtriser les outils liés à l'intelligence artificielle pour mieux les intégrer aux différentes méthodes de fonctionnement interne: "L'IA, ça fait cinq ans qu'on en parle à Météo France. Mais faire de la prévision avec de l'IA, c'est beaucoup plus récent. Ça remet en cause notre manière de travailler, alors il faut y aller à notre rythme."
"Les IA prévisionnistes ne sont pas terminées d'être développées, on est encore assez loin de ce que savent faire les modèles actuels conçus par les experts de la physique," assure Laure Raynaud.
La chercheuse plaide pour du "volontarisme" et pour que le projet en cours, qui permet à tous les salariés de se familiariser avec les outils d'IA, puisse continuer.
Les données utilisées par les modèles de Météo France sont d'ailleurs précieuses, et c'est principalement pour cette raison que les efforts de Google, via sa division Deepmind, sont encore vains: "Il ne pourrait probablement pas y avoir de partenariat avec Google," précise-t-elle.
A contrario, Nvidia tient une ligne directrice plus avantageuse pour les agences météorologiques. En l'occurrence, la firme américaine pourrait tout à fait fournir les puces qui permettent ensuite de faire tourner des modèles d'IA: "Il faut garder notre souveraineté, mais cela n'empêche pas de nouer des partenariats," conclut Laure Raynaud, qui n'a pas voulu s'exprimer sur les propos du maire de Cannes.