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"South of Midnight": quand le jeu vidéo est aussi une œuvre artistique à jouer

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Disponible ce 8 avril sur Xbox Series et PC, "South of Midnight" brille par sa personnalité, son sens artistique poussé et sa narration touchante. Un bel hommage au folklore du sud des États-Unis.

À l’heure où les jeux vidéo se ressemblent, dans leur déroulé, leur réalisme graphique poussé jusqu’à en devenir plus vrai que nature, leur style de jeu copié-collé des jeux à succès, il devient difficile de trouver des jeux qui se démarquent par leur concept novateur comme par leur ambiance, leur univers ou leur style.

Ces "ovnis" ne sont pas forcément d’excellents jeux sur tous les points, mais des jeux qui marqueront certains joueurs.

South of Midnight, qui sort ce 8 avril sur Xbox Series et PC, a les armes pour faire partie de ceux dont on se souviendra. Derrière ce titre qui raconte les aventures de Hazel Flood, partie en quête de sa mère disparue après le passage d’un ouragan qui a ravagé le sud des États-Unis, on trouve Compulsion Games. On doit au studio québécois les jeux Contrast et We Happy Few, deux titres qui avaient marqué les esprits par leurs styles visuels propres: ambiance très jazzy des années 1920 avec esthétique de film noir pour le premier, Angleterre uchronique des années 1960 pour le second, avec une patte graphique très rétrofuturisme 'mod' de l’époque.

"Trouver quelque chose qui résonne et auquel s’attacher"

Le troisième jeu du studio s’inscrit dans cette même volonté artistique des équipes de tenter quelque chose de différent. "Quand on a commencé à réfléchir à ce que pourrait être un décor intéressant pour un jeu, on cherche quelque chose qui a beaucoup de potentiel, qui pourrait résonner en chacun, que l’on peut tenir sur la durée d’un jeu et auquel on peut s’attacher", explique à Tech&Co Whitney Clayton, directrice artistique du jeu.

South of Midnight
South of Midnight © Compulsion Games / Xbox

Sous la houlette de son directeur créatif originaire du Sud, le théâtre est trouvé: ce sera le sud des États-Unis, ses bayous et son histoire, sa culture et ses mythes. "Un décor sous-employé" avec "beaucoup de potentiel, de beauté et une culture très riche". Et South of Midnight exploite pleinement le folklore local, ces histoires mystiques et magiques transmises oralement de génération en génération. Un travail d’écoute, de rencontres des populations et des experts pour s’assurer "de respecter et représenter correctement le Sud profond et ses traditions".

Les équipes de Compulsion Games ont donc mêlé les codes des styles Southern Gothic et Dark Fantasy pour concevoir un univers peuplé de créatures inspirées du folklore qui vont sillonner les 14 chapitres du jeu. Chaque partie s’installe dans un environnement différent (montagne, plaine inondée, fleuve en furie, ville dévastée, etc.), chacune met en scène une histoire adaptée des mythes et légendes fantastiques du Tennessee, de la Louisiane ou encore de la Floride (l’histoire de Benjy et Rhubarb, l’alligator Two-Toed Tom, Huggin' Molly qui enlève les enfants, le mythe de l'homme Rougarou, etc.). Des histoires d'êtres abimés par la vie dans une Amérique à l'abandon.

Des histoires que l’on découvre progressivement, qui racontent un peu de chacun de nous aussi à leur manière en abordant des thématiques comme le deuil, la séparation, l’égoïsme, l’ambition… Des sujets parfois traités sans détour et de manière forte, avec beaucoup d’émotion, qui pourraient laisser le joueur stupéfait face à leur issue. Mais on se plaît à écouter ses histoires fantastiques et à les vivre dans les pas d'Hazel.

Le stop-motion en signature artistique

On a beaucoup parlé du choix du stop-motion, conçu avec le spécialiste de l’animation du genre, Clyde Henry Productions. Il ajoute à la personnalité de South of Midnight, lui apporte aussi sa poésie. "On a choisi de s’en remettre à quelque chose de très artisanal pour montrer un monde créatif, en évolution", souligne Whitney Clayton, reconnaissant que c’était aussi "un choix artistique pour donner un aspect totalement différent au jeu."

Avec son style visuel marqué et très graphique, l’effet contribue à enrichir l’expérience visuelle et immersive du jeu, à offrir une touche unique et créative à l’esthétique globale. Il est cependant possible de désactiver l’option si vous êtes gêné ou pas adepte. Mais c’est aussi perdre un peu de l’identité du titre.

Au-delà du stop-motion, South of Midnight est aussi une peinture somptueuse. Tantôt sombre, tantôt lumineux, que ce soit dans le monde traversé par l’héroïne comme lors des visions de sa mère qu’elle a et du monde fantastique dans lequel elle bascule, le jeu est particulièrement beau et fluide (en 60 fps!), avec des effets de lumière et un coup de pinceau marqué. Hazel et son acolyte Crouton (sorte de poupée de chiffon étrange) ne sont pas réalistes, ont des proportions étranges, tout comme les créatures affrontées. Ça leur donne de la personnalité et les rend aussi attachants. Le tout est porté par la narration, avec une excellente écriture de la trame principale et de chaque histoire abordée par Hazel. Il y a de l’humour, de l’émotion qui contribuent à renforcer cet univers à part et donner une tonalité très particulière au tout.

La musique, l’autre héroïne

Dans ce monde où Hazel combat, vole, fait du parkour et résout les crises des créatures croisées, il y a une autre héroïne essentielle à son aventure: la musique. Sous la houlette de Chris Fox, directeur audio du jeu, et Olivier Derivière, compositeur en charge de la musique, South of Midnight hérite d’une bande-son de très haut vol, mêlant blues, folk, jazz ou encore country. Tous les bruits, les sons, les débuts de musique sont des éléments de l’histoire.

"On voulait que la musique fasse partie de la narration, que chaque créature ait sa propre chanson", explique Chris Fox. "C’était un moyen de renforcer l’ambiance, l’immersion et d’apporter des éléments narratifs. Si vous êtes attentif, vous allez prendre cela comme des indices".

South of Midnight
South of Midnight © Microsoft

Composée comme un véritable album musical, la BO de South of Midnight offre à chaque créature une chanson qui va se déployer progressivement et aller crescendo durant le chapitre jusqu’au combat de boss final du chapitre.

La musique sait prendre son temps (les chants peuvent se temporiser tandis que la mélodie continue si jamais vous errez dans la vaste zone à explorer en quête d’artefacts et bouloches à récupérer pour gagner des points avant de reprendre votre route). Les mélodies conçues pour le jeu, interprétées par des artistes et musiciens locaux, avec des paroles écrites en collaboration avec les équipes narratives, vont parfois vous faire monter les larmes aux yeux (mention spéciale aux chansons de Benjy et de Bunny). Il est d’ailleurs étonnant de voir que chaque chanson résonnera différemment selon le joueur et son vécu.

Une expérience de jeu artistique plus que technique

Si South of Midnight brille artistiquement, il est vrai que le gameplay n’est pas son point fort. Les combats en arène — points d’étape et de contrôle à chaque chapitre — sont assez répétitifs avec leurs vagues de monstres à éliminer, chose facilitée en fonction de votre aptitude à apprendre de nouveaux sortilèges pour gagner en puissance. Chaque niveau suit une logique assez similaire ponctuée d’une course-poursuite avec une force obscure vers l’arbre de vie. À vrai dire, on s’en moque un peu de ces phases et on les oublie vite pour apprécier le reste. Ce n’est pas la force du jeu et ce pour quoi on s’en souviendra.

Crouton, le compagnon d'Hazel dans "South of Midnight"
Crouton, le compagnon d'Hazel dans "South of Midnight" © Capture en jeu / Compulsion Games

Si vous cherchez un jeu qui soit une école du gameplay, ce n’est clairement pas la bonne destination et vous risquez l’ennui. Si vous cherchez une œuvre qui vous touche, vous impacte par ses choix audacieux visuels et musicaux, South of Midnight a tous les atouts pour qu’on se souvienne de lui.

Compulsion Games signe une expérience qu’on se plaît à traverser, à voir évoluer comme son héroïne, avec un univers qui change. Un jeu à message aussi sur soi-même. Faire un choix artistique marqué pour porter son histoire, c’est aussi faire du jeu vidéo à sa façon. D'autres jeux sont par le passé restés dans les mémoires sans avoir besoin d'un gameplay de pointe, mais en proposant une expérience narrative ou visuelle (Everybody's Gone to the Rapture, Journey, What remains of Eddie Finch, etc.). South of Midnight est une Grande Tapisserie artistique en cela, un jeu avec une véritable personnalité. C’est devenu suffisamment rare pour être salué. Reste à savoir s’il saura trouver le public qu’il mérite.

Melinda Davan-Soulas