Rencontre avec les créateurs de Silent Hill F: 25 ans après ses débuts, le jeu d’horreur psychologique s'offre son "plus grand twist", un Japon aussi beau qu'inquiétant

Une jeune fille en tenue de lycéenne qui s’avance prudemment dans une ruelle typique alors que d’étranges racines s’emparent peu à peu du sol dans ses pas et que le brouillard se lève. Silent Hill est de retour, mais il s’offre un nouveau départ.
Car voilà plus de 12 ans qu’aucun épisode inédit n’avait vu le jour. Le remake de Silent Hill 2 l’an dernier avait remis la saga sur la carte vidéoludique avec une version de très haut vol. Cette année, Konami espère bien redonner des frissons aux joueurs avec Silent Hill f, disponible depuis ce 25 septembre sur PS5, Xbox Series et PC. Et pour s’en donner les moyens, la célèbre franchise d’horreur psychologique revoit ses codes.
Tout d’abord, en confiant son nouvel opus au studio NeoBards, épaulé par Ryukishi07, auteur de visual novel japonais reconnu. Il en résulte une nouvelle orientation prise par la franchise qui prend ses quartiers dans le Japon des années 1960. Un théâtre totalement inédit pour un jeu nippon qui ciblait davantage les joueurs occidentaux jusque-là avec des références américaines bien souvent.
"Le Japon, le plus grand twist"
"Ce jeu se déroule au Japon, c’est probablement le plus grand 'twist' que nous ayons", s’amuse Motoi Okamoto, producteur de la série Silent Hill chez Konami, auprès de Tech&Co. "Silent Hill a toujours été le mariage de l’horreur occidentale et japonaise, mais l’essence japonaise se perdait avec le temps. Nous avons voulu y remédier en l’infusant pleinement."
Nous voici donc dans les pas de Shimizu Hinako, adolescente écrasée par les attentes sociales, qui se voit confronter à des métamorphoses inquiétantes dans son village d’Ebisugaoka. Quand soudainement une brume dérangeante vient engloutir les lieux. Plus de ville nommée Silent Hill. Cela devient désormais un concept pour Konami qui assure que le jeu, malgré ces changements, reste fidèle à ses principes.
"L’ADN de Silent Hill réside dans son horreur psychologique. L’aspect le plus crucial est le voyage dans lequel on entraîne les joueurs: explorer la psyché humaine, plonger dans ses peurs et traumatismes les plus profonds, et affronter ses démons intérieurs", rappelle Motoi Okamoto.

Silent Hill f veut néanmoins marquer un tournant notable dans l’évolution de la franchise, par son approche narrative appuyée, ses choix artistiques et ses mécaniques, tout en restant fidèle à l’essence de Silent Hill. Mais avec désormais un jeu qui "ose essayer de créer 100% d’horreur japonaise" et cela passe notamment par une esthétique plus marquée, oscillant entre le sombre de la ville japonaise et le rouge de cette menace sur la ville.
"Dans l’horreur japonaise, un élément important est la coexistence de la beauté et de l’effrayant, grotesque et dérangeante à la fois. C’était essentiel pour nous", explique Motoi Okamoto.
Une beauté qui passe aussi par le malaise que cela peut créer pour des joueurs non japonais, pas forcément au fait des us et coutumes japonais. "Il y a une couche supplémentaire avec le manque de familiarité pour les joueurs", renchérit-il. "Tout le monde sait ce qu’est une école, mais pas forcément une école japonaise, encore moins dans les années 1960. Cela ajoute des couches d’inconnu pour recréer le sentiment Silent Hill d’origine".
Une brume toujours présente et inquiétante
Même si le jeu de Neobard veut créer de nouveaux codes, il reste néanmoins fidèle à quelques principes. À commencer par la présence de la brume, personnage emblématique de la série dont on a cru à tort que Konami pourrait se passer. "Nous avons cherché à créer des visuels qui paraissent naturels, mais où quelque chose cloche subtilement: l’épaisseur, le mouvement… assez pour mettre mal à l’aise," souligne Al Yang, game director chez Neobard.
Et il est vrai que ce brouillard qui se faufile dans les rues sans donner l’impression de bouger comme le ferait un brouillard normal, prend possession des lieux, paraît plus incarné et étrange que jamais, plus floral, moins industriel. "Dans Silent Hill 2, la brume dense reflétait l’état mental de James. Dans F, la brume d’Hinako est plus proche de la nature, plus japonaise, et liée à son âge", ajoute Motoi Okamoto. "Il représente son anxiété, celle liée à son âge, celle d’une ado." Cette brume comme fil conducteur d’un jeu à l’autre finalement, personnage récurrent et menace permanente planant sur les héros, transportant sa peur et son étrangeté poussée à son paroxysme.

"Nous allons très loin dans le concept de l’inquiétante étrangeté, non seulement dans la manière dont les gens bougent les choses, mais aussi dans les graphismes et le son", précise Al Yang. "Par exemple, l’eau qui coule... la vitesse à laquelle l’eau bouge pourrait aller à l’envers ou être plus lente que ce que vous voyez. Il ne s’agit pas d’une chose majeure qui vous déstabilise, mais de petites choses minuscules."
Créer une peur par petite touche, installer un environnement angoissant, apporter du stress par le moindre son, une tension palpable manette en main. C’est aussi en ça que Silent Hill f veut montrer sa maturité et sa modernité, sa capacité à évoluer avec son temps. Les créateurs du jeu indiquent avoir davantage mis l’accent sur la tension et le malaise plutôt que sur les 'jump scares' classiques.
Faire peur par la tension, pas l'horreur
Silent Hill f fait peur, stresse, angoisse avec ses étranges créatures désarticulées et imprévisibles à combattre. Mais jamais avec une horreur outrancière. Une façon d’adopter les nouveaux codes du jeu d’horreur japonais. "Nous avons cherché à recréer cette tension oppressante", explique Al Yang. "Il ne s’agit pas de faire peur en permanence, mais de maintenir une tension où l’on ne sait jamais quand quelque chose va arriver".
Car, selon lui, les joueurs disent vouloir être effrayés en permanence. "En réalité, ils veulent ressentir de la tension et on va lentement leur construire", promet le directeur du jeu. Et Silent Hill f y parvient à merveille, jouant sur le stress du coin de rue, ce moment où il faut avancer, mais où l’on redoute que quelque chose se produise, ou peut-être rien. Une tension qui crée la peur.

Silent Hill f veut rompre avec ses traditions pour s’offrir une singularité et une immersion bienvenue. À commencer par la fin de la tradition des numéros de série (même si le F pourrait signifier simplement Four - 4 en anglais), mais Motoi Okamoto assure qu’il y a "plusieurs couches de sens à découvrir" derrière ce "F'". "C’est aux joueurs de les découvrir", glisse-t-il mystérieusement. Et Al Yang de s’amuser: "On pourrait aussi dire que le F signifie 'Fan speculation'".
Et si ce F voulait simplement dire Fear (peur en anglais)? Cette peur aussi terrorisante que jouissive qui fait le succès de la série depuis plus de 25 ans. Et ses créateurs l’assurent, ce n’est pas près de s’arrêter. Si la franchise Silent Hill se décline bientôt en film, le jeu vidéo ne sera pas abandonné pour autant. Konami espère même maintenir une cadence d’au moins "un jeu tous les deux ans pour que les joueurs ne s’ennuient pas". La peur n’a pas fini de faire trembler les manettes.