Jeux vidéo: pourquoi il est si difficile de développer un "FIFA du rugby"

C'était une fenêtre de lancement parfaite. Mais Rugby 24 n'est pas disponible. Le jeu vidéo initialement prévu pour le 7 septembre a été reporté à l'année prochaine. Une décision qui a pour conséquence directe de faire manquer au titre l'événement rugby de l'année.
"Il devait sortir pour la coupe du monde, mais a été repoussé au 30 janvier 2024, quelques jours avant le tournoi des 6 nations", précise Clément Nicolin, chef de produit chez Nacon, l'éditeur français de Rugby 24 - qui possède aussi la licence Pro Cycling Manager.
Si les reports sont souvent mal vus, ils permettent en réalité à un studio de finaliser sereinement un titre. Les développeurs s'autorisent ainsi plus de temps pour ne pas bâcler les dernières étapes de conception. Surtout, ils évitent de rentrer dans une période de travail intensive (le "crunch"), de plus en plus décriée dans l'industrie.
Le contact, au centre du jeu
Mais pour Rugby 24, les quatre mois supplémentaires de travail viennent surtout souligner la complexité qui entoure la fabrication d'un jeu vidéo consacré à la discipline. Les précédents opus n'ont franchement pas été des triomphes, faute d'une jouabilité satisfaisante.
"Il y a pas mal d'éléments spécifiques au rugby", explique Clément Nicolin, qui gère les jeux de sport de l'éditeur français. "D'abord, c'est un sport de contact."
Si les collisions entre joueurs peuvent être traitées à la marge dans certaines simulation de sport, le rugby requiert un soin tout particulier. "Ici, c'est au centre du jeu", assure le chef de produit. Il faut donc représenter fidèlement l'ensemble des joueurs, plus nombreux qu'ailleurs.
Au rugby, il y a 30 acteurs sur le terrain. "Le rugby se joue à 15 contre 15, pourtant, le joueur ne contrôle qu'un seul joueur à la fois", souligne Clément Nicolin. Cet élément impose donc un travail particulier autour de l'intelligence artificielle du jeu. Si cette technologie permet de contrôler l'équipe adverse, elle est également utilisée pour gérer le déplacement de ses coéquipiers.
"Tout l'enjeu repose sur ce que vont faire les membres de sa propre équipe", résume Clément Nicolin.
Un ailier doit-il prendre la profondeur? Un adversaire doit-il anticiper un jeu au pied? Les développeurs doivent trouver le juste équilibre pour que la simulation soit cohérente avec le sport, mais aussi satisfaisante manette en main.
Cela passe inévitablement par la reproduction des phases de jeu arrêtées: les mêlées, les touches, les ruck, ou encore les mauls dans une certaine mesure. Des éléments cruciaux du rugby particulièrement complexes à retranscrire au sein d'un jeu vidéo. Ils ont d'ailleurs demandé "de nombreuses recherches en termes de 'game design' (conception de jeu, ndlr)", avoue le responsable de Nacon.
130 nations, 15 championnats
Mais ce qui a aussi donné du fil à retordre aux équipes, c'est l'ampleur du contenu souhaité. Dans Rugby 24, les joueurs pourront choisir parmi 130 nations et évoluer dans 15 championnats différents. Un choix qui implique une importante étape de photogrammétrie. Cette technique consiste à reproduire le corps et le visage d'un joueur à partir d'un ensemble de clichés pris dans une sorte de cage, où de nombreux appareils photos sont attachés.
Les difficultés de développement trouvent également un écho sur le plan financier. Le marché des jeux de rugby reste faible. Si le sport se développe peu à peu aux Etats-Unis, sa popularité est encore trop localisée (Europe, Océanie, Afrique du Sud) pour prétendre à convertir de nombreux joueurs sur le plan mondial.
Ainsi, les cadors de la simulation de sport que sont Electronic Arts (éditeur des jeux FIFA, renommés EA Sports FC) ou 2K Games (éditeur des jeux NBA 2K) délaissent le rugby. "C'est une réalité économique", selon Clément Nicolin. "Le marché n'est pas assez gros pour que des éditeurs de cette taille puissent atteindre la rentabilité."
Surtout, Rugby 24 est l'occasion pour Nacon d'opérer un virage technique et managérial. Ce n'est plus le studio parisien Eko Software - déjà à l'œuvre sur Rugby 18, 20 et 22 - qui conçoit le jeu. Le développement, qui utilise un nouveau moteur de jeu, a été confié à une autre équipe de l'éditeur: les Australiens de Big Ant Studios.
"Quand on parle de sport, il est question de passion. Il faut donc qu'un jeu soit fait par des fans pour des fans", estime Clément Nicolin. "C'est aussi cela qui permet de garder l'authenticité autour du gameplay."