"Life is strange: Double Exposure" ou comment le jeu vidéo aide à parler du passage à l'âge adulte

Le passage de l’adolescence à l’âge adulte est un thème récurrent dans le jeu vidéo. L’adolescence et ses atermoiements, la séparation — aussi bien physique, mentale que morale - avec ses parents, l’entrée dans une nouvelle phase de sa vie souvent accompagnée de craintes inhérentes à la bascule dans l’inconnu: de nombreux jeux l’ont en trame de fond, sous couvert de narration, jeu de rôle ou même d’action. Peu ont marqué les joueurs comme Life is Strange.
Sorti en 2015, le titre signé Don't Nod avait fait l’effet d’une petite bombe, inspirée des jeux Telltale pour son approche en épisodes, mais avec une touche narrative très personnelle, une résonance forte dans son traitement des thématiques de l’adolescence.
Marcher dans des pas déjà connus
Life is strange racontait le retour de Max Caufield dans sa ville natale où elle croisait la route de Chloé, aussi délurée qu’elle était sage, mais surtout que Max sauvait de la mort grâce à son pouvoir de remonter le temps. Le titre n’était, même à l’époque, pas le plus beau jeu visuellement. Il était cependant parvenu à frapper les joueurs au coeur avec ses choix décisifs pour l’évolution de l’histoire, sa façon d’aborder le harcèlement, le suicide ou les relations difficiles parents-enfants, des sujets inhérents à cet âge si complexe.
Neuf ans après, Life is strange: Double Exposure reprend là où Life is strange: épisode 5 s’est arrêté. Ou plutôt a fait une pause de quelques années pour retrouver une Max jeune adulte devenue photographe en résidence à l’université. Don't Nod a laissé les clés à Deck Nine, autre studio choisi jusque-là par Square Enix pour offrir des épisodes "alternatifs" (Before the storm, prequel de Life is Strange autour de Chloé et Rachel, et Life is Strange True Colors, 3e épisode officiel avec une autre histoire), mais aussi en charge de la version remastérisée de Life is strange.
"C’est la première fois qu’on reprend un personnage déjà jouable auparavant (Chloe ne l’était pas dans Life is strange, NDLR)", explique à Tech&Co Jonathan Stauder, directeur du jeu, conscient de l’héritage qu’il a entre les mains. "Elle est toujours la Max que vous connaissiez, mais elle a mûri et changé. Elle a dû faire face à la perte d’une vie et elle en porte les conséquences, avec ses traumatismes." "Situer l’histoire après les événements initiaux permet d’explorer de nouvelles dynamiques et évolutions des personnages", souligne Aysha Farah, qui a été chargée de l’écriture de l’histoire.
J’aimais l’idée de revenir à un personnage passé de jeune fille à jeune femme. C’est une façon d’explorer la maturité et les changements personnels. Et cela passe aussi par un changement dans ses pouvoirs."
Cette fois, Max se retrouve confrontée à la mort de son amie Safi assassinée. Elle se découvre de nouveaux pouvoirs (la perception pour détecter des éléments clés et la traversée pour changer de réalité). Ils ont un impact sur son devenir, car elle va alors se retrouver prise entre deux réalités: l’une où Safi est encore en vie et l’autre où elle est morte et dans laquelle Max et Moses veulent découvrir la vérité.
Max à l’expérience de la vie d’adulte
Deck Nine a ainsi cherché à garder le côté "cosy" du jeu d’origine, mais aussi ses côtés sombres liés à l’histoire dramatique, "l’équilibre entre le paranormal et la vraie vie". "Le jeu est émotionnellement ancré dans la réalité, avec des gens normaux et compréhensibles. Ce qui aide les joueurs à se connecter et à avoir de l’empathie pour les personnages", ajoute-t-elle. "On a gardé un peu de la tonalité de Life is strange, cette capacité à passer de très doux à très sombre rapidement. Max le sait et a intégré le surnaturel à sa vie." Un surnaturel comme une allégorie permanente au changement d’étape dans sa vie à accepter.

Comme toujours, il y a une différence de style visuel évidente entre Don't Nod et Deck Nine. Il faudra donc quelques minutes avant d’accepter que, même légèrement plus âgée, on a bien à faire à Max tant physiquement il y a monde. Mais on finit par l’accepter. De plus, elle est entourée de nouveaux personnages, d’un nouveau décor, et dotée de nouveaux pouvoirs qui rendent le jeu presque nouveau, même si les mécaniques de jeu (chercher des objets, prendre des photos, interagir avec des personnages — dont certains de retour) lui permettent d’apporter des éléments d’une réalité à l’autre pour faire progresser l’enquête.
Double Exposure, du changement dans une très belle continuité
Si vous aviez fait le tout premier épisode de la franchise, vous apprécierez quelques clins d’oeil, mais aussi des choix à faire qui découlent très clairement de la façon dont vous aviez vécue l’histoire initiale et qui auront des conséquences sur la narration et le rapport aux personnages dans Double Exposure. Si vous commencez par celui-ci, aucun souci ni risque d’être perdu. C’est une nouvelle histoire qui s’offre à vous et les choix faits ne nuiront pas à votre compréhension globale.
Par rapport aux habitudes des jeux Deck Nine, l’histoire reprend bien plus les codes du jeu de Don't Nod, dans la narration notamment avec un peu plus de noirceur, d’introspection pour l’héroïne confrontée à ses premières véritables décisions d’adulte. On a véritablement l’impression de reprendre l’histoire de Max là où elle aurait pu continuer. Double Exposure passe de la lumière à l’obscurité des scènes et des situations comme Max saute d’une réalité alternative à l’autre. On y croit comme une véritable continuité aux aventures de Max et c’est là le pari le plus réussi.
Mais on retrouve la recette qui avait le succès de Life is strange et sa place dans la mémoire de ceux qui y ont joué: s’interroger soi-même sur ce que l’on aurait fait et sur ce que l’on est avec des choix qui auraient pu être les nôtres. Le tout avec une musique digne des bandes originales soignées des épisodes Don't Nod. La seule différence entre l’approche française et américaine de la saga est peut-être parfois le manque de finesse dans la façon d’aborder des sujets aussi importants qui sont marqués ostensiblement plutôt que d’être sous-entendus ou laissés à l’appréciation de chacun dans la perception de l’importance pour la narration (la diversité, l’homosexualité, la différence, la marginalité…).
LIFE IS STRANGE: DOUBLE EXPOSURE — Disponible sur PS5, Xbox Series et PC dès le 29 octobre (les deux premiers épisodes disponibles dès le 15 octobre pour ceux qui ont précommandé l'édition ultimate) — Prochainement sur Nintendo Switch.