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David Cage (Quantic Dream): "La technologie doit servir la vision et l’envie créative dans le jeu vidéo"

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En pleine préparation de "Star Wars Eclipse", David Cage s’est confié à Multijoueurs sur son amour pour le jeu vidéo, pour la technologie et le cinéma. Et l’alchimie entre les trois qui a conduit à créer Quantic Dream.

Une éclipse. C’est ce qui explique le silence actuel de Quantic Dream. Si le studio parisien s’est mis en dehors des lumières ces dernières années, c’est pour bientôt sortir de l’ombre et parler enfin de ce Star Wars Eclipse, dévoilé fin 2021 avant de se faire plus discret.

Pourtant, tout près du périphérique parisien, on s’affaire à préparer quelque chose de grand. "Je n’ai rien le droit de dire si ce n’est que, évidemment, on travaille dessus avec encore plus de passion et détermination que si c’était l’un de nos jeux originaux", confie David Cage dans un sourire à Tech&Co. "C’est la première fois qu’on travaille sur une franchise. On n’a jamais travaillé sur une suite et on veut absolument créer quelque chose de spécial. On y met tout notre cœur."

On ne saura rien de plus sur ce qui se trame derrière les quelques images aperçues de ce qui sera le prochain jeu que prépare Quantic Dream dans le plus grand secret. Le premier trailer a mis les fans de la saga en émoi, mais il faudra être encore un peu patient. Les informations sur le futur titre du développeur auquel on doit Heavy Rain, Detroit: Become Human ou encore Beyond Two Souls se font aussi rares que le fondateur du studio dans la presse. Mais quand on lui parle de technologie et de la passion qui l’anime depuis près de 30 ans, David Cage a les mêmes étoiles dans les yeux que celles promises par son Star Wars Eclipse.

Un studio qui doit tout à "une petite boîte grise"

"Quantic Dream, c’est un jeu de mots sur la physique quantique. À la fois de la science, des équations mathématiques, de la technologique, quelque chose d’impalpable, d’insaisissable, mélangé à de l’imaginaire. Dès le début, on voyait le studio sur ces deux pieds, la création et la technologie", glisse cet ancien musicien devenu magicien du jeu vidéo.

C’est en voyant la toute première Playstation qu’il a l’envie et l’idée de créer son propre studio. David Cage se balade alors dans les allées du salon CES de Las Vegas en 1995. "Au détour d’une allée, je tombe sur une démo d’une petite boîte grise, il y a écrit Playstation dessus. Ce n’était pas encore sorti en dehors du Japon. Et je vois tourner un jeu en 3D pour la première fois", se rappelle-t-il. "Jusqu’alors, les jeux étaient en 2D, à plat. Et tout à coup, la puissance de la console permettait d’avoir la 3e dimension. On a une caméra qui peut tourner autour, vraiment voir les choses, explorer. Je me dis qu’on va enfin pouvoir raconter des histoires en trois dimensions avec des personnages. C’est incroyable, c’est ça que je veux faire !"

Cette rencontre marque le point de départ de Quantic Dream. Mais tout n’est pas pour autant facile. "Je commence à en parler à des amis. Ils me disaient que ça n’existait pas et ce n’était sans doute pas sans raison que si je voulais le faire, il fallait inventer la technologie pour inventer ses propres jeux", raconte David Cage. Il les prend au mot et monte son propre studio dès 1997 avec ce crédo: toujours développer la technologie qui sert la vision et l’envie créative. "C’est la marque de fabrique du studio aujourd’hui encore," assure-t-il.

Dès lors, Quantic Dream se veut un pionnier de la technologie dans le jeu vidéo, tout en se faisant conteur d’histoire. Et dès le premier jeu, Omikron: The Nomad Soul (1999), le ton est donné. Le jeu de "l’inconscience totale", s’amuse à résumer le directeur créatif.

"On n’y connaissait rien, donc on n’avait aucune limite, on ne savait pas ce qui était possible ou non… 'Pourquoi on ne ferait pas une ville dans 3D? Personne ne l’a fait'. Oui, mais personne ne l’a fait parce que c’est compliqué," se souvient David Cage.

Et Quantic Dream ne reculera devant rien. Pas même solliciter David Bowie pour prêter ses traits à l’un des personnages. Mais c’est aussi le jeu qui invente beaucoup: un monde futuriste très vivant en 3D. Et surtout, la capture de mouvements va devenir l’autre marque de fabrique du studio francilien. "Une démarche naturelle" dans la conviction que la technologie peut aider et surtout rendre les personnages plus réels dans leur animation. Quantic Dream se sert alors d’une technique venue de la médecine pour étudier la démarche humaine, la motion capture, et l’adapte au jeu vidéo, la peaufinant au fil du temps pour aboutir à la performance capture, capturer le corps et le visage des acteurs afin de créer davantage d’interactions possibles.

Quantic Dream, pionnier de la motion capture

"On a voulu créer les premiers acteurs virtuels. Ça voulait dire d’avoir une seule personne qui crée la performance et pas d’avoir un patchwork de plusieurs personnes dont le travail combiné va créer une performance", résume-t-il. Un seul acteur qui sera l’image, les mouvements, la voix, le visage, le tout dans les moindres détails du jeu, ou plutôt le plus de scènes possible à jouer pour répondre à toutes les possibilités scénaristiques. De la motion capture, Quantic Dream devient le spécialiste de la performance capture qui capture non seulement le corps, mais le visage, la voix et tout le travail de l’acteur.

Le studio de motion capture dans les locaux de Quantic Dream
Le studio de motion capture dans les locaux de Quantic Dream © Quantic Dream

Depuis The Nomad Soul et surtout Fahrenheit, qui pose les bases de travail avec plus de 12 heures de captation et 60 acteurs, le studio est considéré comme l’un des pionniers de la motion capture destinée à rendre le gameplay réaliste et encore plus immersif. Des acteurs de renom prêtent leurs traits et leurs voix: Ellen Page, Willem Dafoe, Jesse Williams - Grey’s Anatomy - ou encore Valorie Curry, interprète de Kara dans Detroit. Cette dernière sera la première véritable actrice en performance capture pour un court métrage démo réalisé par David Cage.

Aujourd’hui, le nouveau studio de motion capture compte une cinquantaine de caméras haute-définition réparties tout autour d’une zone frôlant les 100 m2. Tenues adaptées, objets pour symboliser des décors, capture des mouvements HD… Quantic Dream dispose de l’un des lieux les plus performants au monde, mais aussi un studio de photogrammétrie ultra avancé. Et pour parfaire la panoplie technologique appliquée aux jeux, le dernier studio s’appuie aussi depuis ses débuts sur un moteur 3D maison qui a permis d’avancer à son rythme, selon ses besoins. Sept ans après sa sortie, la beauté et le réalisme des graphismes de Detroit: Become Human conçus pour la PS4 continuent de surpasser certains jeux conçus pour la PS5.

David Cage dit de son studio qu’il reste drivé "par les envies d’explorer de nouvelles choses", mais avec toujours comme priorité de raconter des histoires et partager le tout de manière très cinématographique dans sa mise en scène et en lumière.

Une solidité financière et une confiance solide

Car depuis 28 ans, pas question de faire de la démonstration technique. C’est la technologie qui doit se mettre au service de la narration et de l’émotion. "On part toujours chez Quantic de l’envie artistique, de l’envie créative pour en conclure de ce qu’il faut faire en termes de technologie," martèle David Cage. "Nos expériences narratives sont basées sur l’histoire et les émotions. Et le véhicule de l’émotion, ce sont les personnages."

Cela n’empêche cependant pas de garder un oeil sur les innovations, comme la narration générée dynamiquement par les interactions des joueurs, montrée par Nvidia ou encore Ubisoft. "Je suis scénariste avant tout, ce qui m’intéresse, c’est d’écrire, d’imaginer. Me dire que demain, je ne vais plus raconter des histoires, mais peut-être plutôt mettre en place des règles et laisser un algorithme raconter une histoire sur ces bases-là, c’est une évolution de mon métier qui m’interroge", admet David Cage.

Detroit: Become Human
Detroit: Become Human © Quantic Dream

Malgré le rachat par Netease en 2022, David Cage assure que cela ne change rien à la façon de faire du studio. "L’immense chance qu’on a depuis 28 ans, c’est qu’on a toujours réussi à avoir la confiance de nos partenaires à qui on expliquait qu’on faisait quelque chose d’atypique, de l’artisanat. On ne fait pas un jeu tous les ans, c'est vrai. On ne veut pas industrialiser, mais construire dans le temps", analyse-t-il. "Tous nos jeux ont toujours été rentables, ce qui est assez rare dans notre industrie. Ça veut dire que ce n’est pas juste un délire créatif pour dépenser plein d’argent et faire un flop à la fin. On a toujours réussi à garder une logique économique et un studio rentable".

Melinda Davan-Soulas