"Dans un RPG, tu as les moyens de t’échapper": de "Donjons & Dragons" à "Baldur's Gate", comment le genre a évolué

Lorsque vous évoquez le mot RPG (Role-playing video game ou jeu de rôle vidéo), son regard s’illumine. Feargus Urquhart vit pour le RPG depuis plus de 30 ans. À son tableau de chasse, on trouve d’ailleurs quelques jeux de renom qui mettent des paillettes dans les yeux des joueurs.
Baldur's Gate, Fallout, Pillars of Eternity, The Outer Worlds… en égrenant son pedigree, il est facile de dire que l’homme est un passionné qui sait de quoi il parle. À croire que cet ancien d’Interplay aurait cofondé Obsidian Entertainment en 2003 pour donner vie à son type de jeu préféré. "J’aime toujours les histoires que les gens se racontent quand ils jouent à un RPG. Ce sont des joueurs très différents des autres", explique l’Écossais à Tech&Co.
Tolkien, Wizardry et Disneyland à l'esprit
Le jeu de rôle, il y est presque venu assez classiquement pour un enfant des années 1970-80. "J’ai été initié à Tolkien vers 10-12 ans. J’ai lu Le Seigneur des Anneaux et Bilbo Le Hobbit. J’avais un professeur qui avait une grande connaissance des univers de science-fiction et de fantasy. Grâce à lui, j’ai appris à entrer dans ces mondes", se souvient Feargus Urquhart. "Cela a mis beaucoup d’imagination dans mon esprit. Et puis, j’ai découvert Donjons & Dragons, au même moment, j’ai eu mon tout premier ordinateur."

Il va aussi passer des heures sur Wizardry et sur Master of Magic, deux références du genre dans les années 1980, héritage direct des jeux de plateau des années qui font alors fureur. "
C’était comme si j’avais déjà ces mondes dans ma tête et maintenant, je pouvais les jouer", explique-t-il.
"C’est ce que j’ai voulu faire des années après. Je voulais que les joueurs puissent être cette personne que j’avais été dans ces mondes immersifs. Je pense que l’une de nos 'sauces secrètes' dans la conception de jeu, c’est de penser à la façon dont ils voudraient être dans nos univers, ce qu’ils voudraient y faire" détaille-t-il.
Si le RPG fait fureur en Asie sous la poussée des Dragon Quest et autres Final Fantasy, les Etats-Unis ne sont pas en reste. Dès son travail sur Fallout dans les années 1990, Feargus Urquhart a voulu multiplier les profils, les façons de jouer. "On voulait proposer des fantaisies différentes. Il y avait le personnage qui furète, celui qui parle… Quand on a fait The Outer Worlds (2019), on a ajouté l’idée d’un leader. Dans un RPG, tu as les moyens de t’échapper et de faire ce que tu veux. C’est ce que je préfère", résume-t-il. "Nos vies ne sont pas toujours merveilleuses. Le jeu, c’est une capacité d’entrer et de s’échapper dans ce monde. Et si on peut faire ça d’une manière où tout le reste va, c’est ce que je veux faire."
C’est la clé du succès du RPG, ce jeu qui va vous donner un personnage et un rôle à incarner, à faire évoluer aussi. Un type de jeu qui convient au plus grand nombre, "même sans être un joueur aguerri ou hyper doué techniquement." Car c’est avant tout l’histoire et les relations que l’on construit qui comptent et font la différence. L’important, c’est de proposer du choix au joueur pour faire un personnage unique, dans un monde réactif à ses choix, mais aussi riche en détails cohérents.

"Quand je vais dans une ville médiévale, il y a des animaux, des fermes, des gens qui vont au marché. Et je m’y sens vraiment", souligne le créatif, comparant même son travail à la création d’un Disneyland, un autre monde à l’illusion parfaite dans lequel s’immerger.
Les compagnons, le tournant du RPG
Si la recette reste la même depuis des années, au fil du temps, Feargus Urquhart note une évolution du RPG. "Au début, les jeux étaient surtout axés sur le combat, avec des règles complexes et des histoires minimalistes. On avait des personnages et des successions de combat. C’était comme les règles de Donjons & Dragons", se rappelle-t-il. Pour lui, Fallout a marqué un tournant en introduisant l’idée de compagnons qui ont ajouté une dimension sociale et émotionnelle, enrichissant ainsi l’expérience en étant des acolytes, puis progressivement des personnages à part entière, avec leurs propres motivations, histoires et réactions aux événements.
"Ça peut sembler bizarre de dire qu’ils sont importants, mais ils permettent aux joueurs de se sentir accompagnés, de créer du lien virtuel", reconnaît le patron d’Obsidian. "Vous n’êtes plus seuls. Dans Avowed, nous avons investi beaucoup de temps dans le développement des quatre compagnons uniques, chacun avec sa propre personnalité et son histoire."

Mais l’ajout des compagnons n’est pas le seul marqueur d’un RPG. Le jeu doit aussi être réaliste et permettre l’immersion dans l’histoire et l’univers. Il rappelle l’évolution notable des jeux textuels des années 1980 aux mondes ouverts actuels: "Les environnements sont devenus plus immersifs, les récits plus complexes. Il est important de s’adapter aux attentes changeantes des joueurs tout en conservant l’âme du RPG traditionnel", avance le quinquagénaire.
D'influencé à influenceur de tendance
Avoir un impact réel sur le déroulé d’une histoire par ses choix, suivre l’évolution des goûts des joueurs, mais sans se départir de son ADN: le désormais Californien sait que le RPG doit rester fidèle à ses racines. Mais s’il a su rester sur le devant de la scène, après une période où il semblait avoir moins la cote, c’est aussi parce qu’il sait se renouveler. Ce n'est pas sans raison que désormais de nombreux types de jeux différents lui empruntent ses attributs, de The Witcher à Assassin's Creed en passant par The Elder Scrolls, pour remplir leurs univers et leurs aventures, quitte à en dénaturer son intention initiale. Presque tous se revendiquent du jeu de rôle, ajoutant le terme aventure ou action pour se démarquer.
"L’incertitude a imprégné toute l’industrie ces dernières années," explique-t-il. "Mais ce n’est pas une raison pour suivre aveuglément la tendance". Selon lui, il faut savoir redéfinir aussi le RPG, le rendre plus moderne et plus accessible aux joueurs, même adeptes de jeux plus simples. "Il nous faut trouver un équilibre entre la profondeur des systèmes de jeu et la facilité d’accès", analyse Feargus Urquhart, non sans rappeler le succès de Baldur's Gate III.
Le combat n’est donc plus le coeur du jeu. Les choix moraux sur les dialogues, les quêtes, l’apport d’une exploration plus importante, tout concourt à rendre le RPG plus dense et intéressant de nos jours. Avec plus de trois décennies à créer des mondes, Feargus Urquhart espère, avec Avowed, arriver à ce cocktail vidéoludique tant rêver. Une aventure interactive et immersive offrant de la liberté aux joueurs. L’aboutissement de sa vision: un RPG moderne alliant profondeur, accessibilité et humour, marque de fabrique d’Obsidian, tout en respectant les traditions du genre, non sans oublier d'innover pour perdurer.