Travailleurs menottés, esclavage et arnaques : la justice américaine a saisi 15 milliards de dollars dans une affaire d'escroquerie en ligne à grande échelle

La justice américaine a ainsi saisi 127.271 Bitcoins, l'équivalent de 15 milliards de dollars, dans le cadre de cette arnaque. - Stephan Röhl - Flickr - CC
Une activité peut en cacher une autre. Prince Group, un conglomérat cambodgien, prétendait concentrer ses activités sur des services immobiliers et financiers légitimes. Mais les procureurs américains ont découvert une toute autre réalité. Chen Zhi, le président du groupe, et plusieurs cadres ont en réalité transformer l'entreprise en "l'une des plus grandes organisations criminelles transnationales d'Asie".
Comme le rapporte Bloomberg, Chen Zhi a été inculpé mardi 14 octobre pour avoir dirigé un "vaste empire de cyberfraude", fondé sur les arnaques sentimentales et la traite d'êtres humains. La justice américaine a ainsi saisi 127.271 Bitcoins, l'équivalent de 15 milliards de dollars (12,8 milliards d'euros), dans le cadre de cette arnaque à (très) grande échelle. Il s'agit de la plus grande saisie jamais réalisée, selon les procureurs.
Des "prisons" pour arnaqueurs
Pour ça, Chen Zhi aurait fait appel à des travailleurs forcés, retenus contre leur gré dans des centres d'arnaque au Laos, au Cambodge et au Myanmar, pour extorquer des fonds à des milliers de victimes aux Etats-Unis. Ces derniers auraient été obligés de manipuler émotionnellement ces victimes jusqu'à les convaincre de faire de faux investissements au profit de l’auteur. C'est ce qu'on appelle une escroquerie "pig butchering" ("abattage de porcs", NDLR).
Tous ces agents travaillaient sous la contrainte après avoir été attirées à l'origine par la fausse promesse d'un emploi rémunérateur. Leur tâche: escroquer "à l'échelle industrielle" des internautes via de fausses romances.
"Le prévenu était le cerveau d'un vaste empire de cyberfraude opérant sous l'égide du Prince Group, une entreprise criminelle fondée sur la souffrance humaine", insiste John A. Eisenberg, procureur général adjoint de la division Sécurité nationale du ministère américain de la Justice.
Selon les procureurs américains, qui ont obtenus plusieurs documents dont des photos, une trentaine de travailleurs auraient ainsi été immobilisés et menottés dans des centres de cyberfraude. Ils étaient confinés dans des "complexes ressemblant à des prisons", poursuit-il. Les travailleurs étaient logés dans de vastes dortoirs entourés de hauts murs et de barbelés, gardés par des hommes armés. Ils étaient battus ou vendus dans d'autres complexes s'ils refusaient d'arnaquer d'autres victimes.
30 millions de dollars par jour
Au total, les installations de Prince Group utilisaient 1.250 téléphones portables qui contrôlaient 76.000 comptes sur les réseaux sociaux. Les travailleurs étaient contraints, via ces profils, d'établir des relations avec des internautes. Ils se faisaient passer pour des femmes en utilisant des photos de femmes "pas trop belles" pour rendre le stratagème crédible.
Ils engagent des conversations avec des personnes sur les réseaux sociaux et passaient des mois à leur envoyer des messages. Souvent, ils feignaient un intérêt romantique pour mieux endormir la méfiance de leurs victimes. Et surtout, les encourager à investir de grosses sommes dans des faux fonds d'investissement.
Le vaste réseau d'entreprises du Prince Group a ensuite été utilisé pour blanchir cet argent. Cette fraude aurait rapporté plus de 30 millions de dollars par jour en 2018, selon un complice. Pour le moment, Chen Zhi est toujours en fuite.
Selon une étude réalisée l'année dernière par un professeur de finance de l'université du Texas à Austin, les escroqueries de type "pig butchering" auraient permis de dérober plus de 75 milliards de dollars à des victimes dans le monde entier entre janvier 2020 et février 2024. Selon le FBI, les fraudes liées aux investissements dans les cryptomonnaies ont causé plus de 5,8 milliards de dollars de pertes déclarées pour la seule année 2024.