"L'environnement est la technologie la plus puissante" pour atteindre la neutralité carbone, Apple mise sur la nature pour verdir son avenir

Au milieu des arbres parfois centenaires et de près de 100 m de haut, privé de toute connexion et de tout contact avec le monde moderne, difficile d’imaginer que ce terrain boisé et sauvage appartient en partie à Apple. Qu’il fait même partie de son plus grand et ambitieux plan Apple 2030.
Au cœur de la Gualala River Forest, dans le nord de la Californie, à quelques battements d’ailes du Pacifique, les chênes, pins Redwood et séquoias géants offrent leur couverture à la faune et à la flore locales qui parsèment ce terrain de 5 km sur 10 km. Un lieu calme, sauvage, dépourvu de toute technologie, qui est pourtant un élément fort de l’engagement climatique du géant de Cupertino. Un paradoxe? Sur le papier, bien sûr. Certains parleront sans doute de greenwashing de la part d’Apple, mais peut-être faut-il forcer le trait pour arriver à ce fameux objectif d’émissions carbone à zéro pour l’entreprise.
“Un projet difficile”
Apple 2030 représente l’objectif climatique le plus ambitieux de la marque pour aboutir à cette fameuse neutralité carbone annoncée en 2020 et qui devra être atteinte dix ans plus tard. "Un projet difficile", admet Lisa Jackson, vice-présidente des initiatives environnementales, politiques et sociales d’Apple, auprès de Tech&Co. Mais Apple est bien prêt à se retrousser les manches pour le boucler.
Le géant de Cupertino tient déjà le pari de rendre neutres en carbone ses propres installations (bureaux, data centers, boutiques…). Depuis 2018, chaque bâtiment est alimenté en énergies renouvelables, le nouvel Apple Store des Champs-Élysées et les bureaux qu’ils accueillent en sont une bonne illustration, de la récupération des eaux de pluie aux systèmes d’aération ou de panneaux solaires pour faire fonctionner l’ensemble. Mais, ce n'était qu'une première étape. Apple ambitionne désormais une neutralité carbonne pour toutes ses activités, qu'il s'agisse de la production des produits ou de leurs émissions tout au long de leur vie entre nos mains. Pour cela, pas d'autres solutions que la compensation carbone...
Et c'est à cela que servent ces terres californiennes sauvages. Des arbres, de l’herbe et des cours d’eau à foison, mais pour ne rien alimenter, si ce n'est la faune... La végétation est entourée d'attention, accompagné dans sa croissance, et elle s’épanouit sous le contrôle du Restore Fund lancé par Apple en 2021, en lien avec le Conservation Fund, une organisation à but non lucratif qui achète des forêts menacées pour les protéger. Ces deux fonds gèrent le site californien afin d’assurer sa restauration et sa gestion durable. Ici, pas question d'exploitation forestière, c'est "l’un des 24 projets de conservation et d’agriculture régénératrice soutenus par Apple sur 6 continents", rappelle Lisa Jackson.

L’énorme site sera supervisé par The Conservation Fund qui a trouvé en Apple un partenaire surtout financier pour pouvoir préserver les lieux et les laisser à la vie sauvage. "Ne pas en faire un nouveau vignoble qui assèche les terres ou bien un énorme terrain constructible qui détruirait toute la biodiversité", voilà l'ambition, nous confie un des membres de The Conservation Fund qui préfère l'idée "d'une aide pour la planète". Et chacun y trouve un terrain d’entente.
Car Apple a décidé depuis longtemps de ne plus se contenter "d’acheter" des crédits carbone — une manœuvre fréquente des géants de la tech pour compenser leurs émissions et obtenir une balance à l’équilibre.
Un objectif réalisable à 75%, mais comment gérer les 25% qui manqueront?
Apple a beaucoup travaillé aux émissions du scope 1 et 2, notamment en revoyant ses processus, ses designs avec de plus en plus de matériaux recyclés (99% du cobalt des batteries, 55% des matériaux de fabrication du Macbook Air) et son approvisionnement mieux encadré. La fabrication, le transport, l’usage — de l’extraction de minerai à la consommation électrique des chaînes de production — sont de trop gros pourvoyeurs d’émissions de carbone. Apple vise ainsi une réduction de 75% de son empreinte carbone totale par rapport à 2015 d’ici 2030, à coup d’énergie propre et de matériaux recyclés notamment, mais aussi de changement dans les habitudes. L’entreprise estime avoir déjà atteint une réduction de plus de 60%.
Reste, essentiellement, le scope 3 (et un peu du 2), celui qui échappe à l'emprise directe d'Apple, même si Apple a investi, notamment en Europe dans différents projets de production d'énergie renouvelable, comme des champs d'éoliennes au Danemark.
"Lorsque nous avions fixé cet objectif, nous savions qu’il y aurait environ 25% des émissions que, d’ici 2030, nous n’aurions pas la technologie pour éliminer", admet Lisa Jackson. "Et c’est là que la nature intervient. Pour compenser les émissions que nous ne savons pas encore comment éliminer".
Les séquoias, les pins Redwood et autres chênes, mais aussi les animaux qui peuplent la Gualala River Forest, près de Mendocino, vont être de précieux alliés. "Notre priorité n’est pas de compenser, mais de réduire réellement", tient-elle à préciser. "Nous faisons notre part du travail, et depuis 2020, nous avons démontré que nous savions comment agir avec nos propres opérations à l’empreinte carbone nulle. Reste à nos fournisseurs d’en faire de même pour arriver à une chaîne d’approvisionnement 100% électrique en 2030."

Mais cela ne s’arrête pas là. Car l’environnement est aussi "l’une des technologies les plus puissantes pour éliminer le carbone de l’atmosphère" et Apple espère réussir à retenir quelque 9,6 millions de tonnes de carbone chaque année grâce à ses différents projets dans le monde. "Nous voulons aussi investir dans des projets qui stockent du carbone de manière vérifiable et qui apportent aussi des bénéfices aux écosystèmes et aux communautés", ajoute la responsable.
Cela ne passe cependant pas par l’ajout d’argent en attendant que ça se passe. Apple promet aussi de la transparence dans ce projet et rappelle le rapport annuel publié sur l’évolution sur le plan environnemental "pour renforcer la confiance et la certitude que le travail n’est pas seulement des paroles". "La mesure est le point le plus important,” martèle Lisa Jackson, rappelant que le rapport réalisé avec des experts estime la quantité de carbone que les projets du Fonds Restore retireront.
Le consommateur a aussi un rôle à jouer
Pour une société qui ne cesse de sortir de nouveaux produits toute l’année, investir dans la survie de la mangrove en Amérique du Sud, préserver plus de 48.000 ha de forêt en Californie et dans le Maine, permettre l’installation de ferme solaire en Chine pour les fournisseurs pourrait paraître paradoxal. Mais Lisa Jackson s’en défend. "On garde l’environnement à l’esprit tout en travaillant sur la création de ces excellents produits", glisse-t-elle. "Ce n’est pas un équilibre l’un contre l’autre. Ce sont les deux, l’environnement et les meilleurs produits."
Si Apple connaît son rôle et ses obligations, les répartit au fil de son plan Apple 2030, qui vise aussi à transformer son modèle économique, elle n’écarte pas sa responsabilité aussi. "Il y a une synergie entre performance et environnement. Pour nous, c’est dans la durée de vie du produit que nous devons aussi la montrer", clame Lisa Jackson. "Nous passons un temps certain à fabriquer des produits que l’on veut fiable et qui durent longtemps, que vous puissiez transmettre à votre famille ou à d’autres. Et nous avons besoin que vous pensiez à les recycler aussi. Pas qu’ils restent dans un tiroir".

Au coeur du scope 3, le consommateur doit se montrer actif, et Apple entend le faire réfléchir, lui faire prendre conscience de sa responsabilité environnementale. Inciter ses utilisateurs à recycler, à faire durer peut paraître étrange venant d’une entreprise qui sort une nouvelle version de ses appareils stars quasiment chaque année. Sur ce point, Apple a un discours bien rodé, si des produits neufs sortent, ce n’est pas forcément pour que vous les achetiez à chaque fois... L'essentiel étant de penser à recycler ensuite. Une vision très peu décroissante d'une certaine économie circulaire, de l’aspect environnemental à la conception du produit jusqu’au dernier geste.
Un cheminement dans lequel Apple espère aussi montrer un leadership qui en inspire d’autres. "Nous voulons montrer ce que nous croyons nécessaire et nous avons toujours essayé de travailler dur, raconter l’histoire à nos homologues pour faire avancer ces questions et qu’ils puissent comprendre. Il est difficile d’ignorer les problèmes, ils sont pressants et d'une actualité indiscutable", résume Lisa Jackson.
L’objectif 2030 approche rapidement, Apple le sait et ne compte pas relâcher ses efforts, même en des temps compliqués outre-Atlantique. Mais Apple garde son cap. Les scientifiques du climat visent la neutralité carbone totale nécessaire d’ici 2050. Lisa Jackson promet que 2030 n’est pas une finalité et que les efforts continueront au-delà. "Une fois qu’on est engagé, on ne peut s’arrêter et nous continuerons à travailler très dur au-delà de 2030, de 2050." Dans ces vallons verdoyants et forestiers, entre séquoïas et ratons-laveurs, Apple est engagé dans une course de vitesse au rythme de la nature, un marathon sans fin...