Comment les militants écologistes utilisent TikTok ou Instagram pour mobiliser la jeunesse

Les logos d'Instagram et TikTok - BFMTV
Le 17 mars dernier, Adélaïde Charlier publie une vidéo sur son compte Instagram. Face caméra, elle décide de parler du projet de forage en Alaska. Le Willow Project, qui a fait débat aux Etats-Unis et qui a rassemblé de nombreux opposants sur TikTok. Plus de 418 millions de vues pour le hashtag #stopwillow sur le réseau.
Suivie par plus de 21.000 personnes sur Instagram, Adélaïde Charlier est la cofondatrice et la coordinatrice francophone de Youth for Climate, une association fondée à la suite du mouvement des vendredis de grève des jeunes pour le climat, initié par Greta Thunberg.
Elle est également étudiante en sciences sociales et politiques et conseillère spéciale du vice-président de la Commission européenne. Alors que cette activiste belge jongle déjà entre tous ses titres, elle trouve du temps pour publier quotidiennement du contenu sur Instagram. Son but: mobiliser en partageant les actions de son mouvement.
Actions devant le siège de Total, appels pour se former à la désobéissance civile, boycott de la Coupe du monde, mais aussi explications du dernier rapport du Giec et des exploitations fonds marins: tous les sujets relatifs au réchauffement climatique sont abordés sur son compte.
Mais pour attirer sur Instagram, "il faut savoir jouer avec les codes”, reconnaît Adélaïde auprès de Tech&Co. Et donc faire appel aux émotions. C’est pour cela qu’elle privilégie des vidéos face caméra, souvent accompagnées d'une musique de fond.
"Personnellement ce sont les vidéos qui m’interpellent le plus. Alors je me suis appuyée sur ce modèle", explique-t-elle.
"Faire avancer la cause"
Considérée par les médias comme "la Greta Thunberg belge", elle souhaite incarner son propos. "Je n’aime pas vraiment ce terme 'd’incarnation', car l’écologie est un combat collectif. Mais j’ai décidé de publier sur mon compte personnel, qui, avant, était en mode privé". Sa première publication est une photo où on la voit aux côtés de Greta Thunberg, en mars 2019.
Être militant sur Instagram implique une double contrainte: attirer l’attention et la retenir, surtout quand il s’agit de sujets sérieux. Il faut également savoir parler simplement et efficacement d’un sujet complexe, comme l'écologie.
“A travers mon compte, j’essaye de donner toutes les informations nécessaires pour que les utilisateurs soient au courant et qu'ils puissent s'engager s’ils le souhaitent”.
Publier sur Instagram est devenu un vrai métier à part entière, impliquant une certaine professionnalisation. "Je fais surtout appel à mon entourage, j’ai des amis qui bossent dans la communication, j’emprunte du matériel à droite à gauche… c’est clairement de la débrouille", souligne-t-elle.
Tout cela lui prend du temps. "Il faut réfléchir au sujet, choisir le format, le tourner, le monter, le publier. Ce qui prend du temps aussi c’est de vérifier chaque information que je délivre, car j’en suis responsable".
Elle estime cependant, qu’Instagram a un impact social et environnemental négatif, "mais c’est aussi un outil qui permet de faire avancer la cause".
Youth for Climate est un mouvement international, alors "les réseaux sociaux nous donnent la possibilité de nous coordonner, d’organiser nos actions et de mobiliser. Nous sommes une génération qui a grandi avec les réseaux sociaux et l’hyperconnexion".
"Ce compte est ma manière de m’engager"
Pierre Rouvière profite justement de cette hyperconnexion des jeunes pour leur parler des causes écologiques. Avec son compte Instagram Ecolo mon cul, qu’il définit "comme sarcastique et humoristique", il fait des comparatifs entre des objets (brosse à dent en plastique vs celle en bambou, tote bag vs sac plastique, par exemple).
Ses autres publications principales ont pour objectif de dénoncer le greenwashing des entreprises: Google, H&M, Heineken, Sanex... aucune n’est épargnée. Le greenwashing est une technique de communication qui consiste à promouvoir une image de marque plus responsable et écologique, de façon artificielle.
"Ce compte, qui réunit 49.000 abonnées, est ma manière de m’engager", explique-t-il à Tech&Co. Il souhaite avant tout que "ça cogite" chez les internautes. Pierre a eu l’idée de lancer ce compte pendant le confinement, lorsqu’il a vu qu’autour de lui il y avait beaucoup d’incompréhensions et de confusions au sujet du réchauffement climatique.
"Je suis ingénieur et éco-designer alors cela m’intéresse de me nourrir des échanges avec mon entourage", développe-t-il. Pour autant, il ne se considère pas comme expert du sujet: "je regarde l’actualité, je lis des rapports, je croise des données, je discute, mais je ne suis pas chercheur".
Il a alors réfléchi à la manière dont il pouvait s’adresser à un large public. Instagram s’est révélé être la meilleure plateforme pour des contenus visuels et explicatifs.
“Je veux donner quelques billes, des clés de lecture et si je peux, former à un certain esprit critique”.
Il a voulu un compte Instagram qui n’est pas culpabilisant. "Décomplexifier sans simplifier", complète-t-il. Il a alors choisi de ne pas réaliser de vidéos et de rester sur un format texte car "cela permet de nuancer et de poser le discours, même si c’est toujours dur de parler d’un sujet aussi complexe en 10 slides".
Dans les échanges avec ses abonnés, il est content de voir que les gens se questionnent, mais tenir ce compte lui "prend un temps fou" car il fait tout lui-même, des graphiques aux textes, en passant par des illustrations.
Quant à sa vision de l’avenir climatique, il estime que "les temps vont être compliqués, mais tout n’est pas perdu". "Je ne suis pas fataliste, il faut continuer le combat" assure-t-il.
Slamer sur la tendance
Sur le compte Instagram de Féris Barkat, l’une de ses dernières vidéos le montre à Matignon en train d’interpeller la Première ministre sur la nécessité de former les jeunes à l’écologie et d’introduire pleinement cette notion au parcours scolaire afin de créer de nouvelles compétences.
Et il sait de quoi il parle: Féris Barkat est cofondateur de l’association Banlieues Climat, née en novembre 2022, avec laquelle il intervient auprès de jeunes souvent délaissés par la question du climat, ou qui ne s'y intéressent pas de prime abord.
Avant de s’engager pleinement dans la cause climatique, ce Strasbourgeois de 20 ans décide d’arrêter ses études après quelques mois à la London School of Economics. Il a ensuite intégré le Collège citoyen de France qui accompagne des jeunes projets.
Depuis le début de l’année, il a mis de côté son compte TikTok pour investir davantage Instagram. Si TikTok était à ses yeux la plateforme la plus adaptée au discours qu’il voulait partager, il a finalement constaté que "sur TikTok, peu de comptes étaient axés sur l’écologie", observe-t-il pour Tech&Co.
Pour se démarquer, il a publié des vidéos dans lesquelles il fait du slam sur des textes qui parlent du réchauffement climatique. Un format original qui lui a valu un petit succès: "Tout est allé très vite, en un mois j’ai eu 40.000 abonnés".
Sur TikTok, encore plus qu’Instagram, il faut savoir capter l’attention dès les premières secondes "et donc trouver des sujets qui vont cliver et faire réagir: la viande rouge, Elon Musk" explique-t-il.
Les vidéos de slam lui permettent de toucher directement les émotions des utilisateurs en faisant passer un message. "Si ça peut interpeller un jeune qui est éloigné et qui ne connait pas grand-chose aux enjeux climatiques, si je peux entrouvrir une porte, alors j’ai déjà réussi quelque chose".
A travers ses réseaux sociaux et son association, Féris Barkat veut donc toucher un autre public: "Il y a des jeunes qui n’ont aucune notion sur ces sujets, ils sont exposés à de la désinformation, cela peut-être compliqué pour eux de s’y intéresser car ils n’ont pas les bons outils. On a l’impression que l’urgence climatique, c’est un truc de bobo alors que les jeunes des banlieues font partie des premiers exposés”, conclut-il.