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États-Unis: comment la police de l'immigration utilisait un outil de lutte contre les narcotrafiquants pour expulser des citoyens mexicains sans histoire

Des agents de l'Immigration and Customs Enforcement (ICE) des États-Unis le 11 avril 2018 dans le quartier de Brooklyn à New York (photo d'illustration).

Des agents de l'Immigration and Customs Enforcement (ICE) des États-Unis le 11 avril 2018 dans le quartier de Brooklyn à New York (photo d'illustration). - John Moore / Getty images north america / Getty Images via AFP

Une procureure générale a retiré à des agents de l'ICE l'accès au programme TRAC, de lutte contre le blanchiment et les trafics de drogue, qu'ils utilisaient pour retrouver et expulser des immigrants sans antécédent judiciaire.

Un outil dévoyé? Créé en 2014 et baptisé TRAC (Transaction Record Analysis Center), ce programme secret permet de suivre les virements électroniques entre les États-Unis et le Mexique. Un outil puissant réservé à la lutte contre le blanchiment d'argent et le trafic de drogue. De fait, il s'est avéré très utile pour détecter des narcotraficants... et des carreleurs...

En effet, à en croire The Intercept, cette base de données a également été adoptée par l'ICE (Immigration and Customs Enforcement). Pendant des années, des agents de cette agence gouvernementale s'en sont servis pour expulser des immigrants.

C'est ainsi que Gregorio Cordova Murrieta, citoyen mexicain de 48 ans qui vivait avec sa fiancée et gérait une entreprise de carrelage, a été retrouvé. Une agente du HSI (le Département de la Sécurité intérieure) a examiné l'historique de ses transferts, soit 11 envois vers des personnes habitant au Mexique entre octobre 2021 et mai 2025, pour localiser son domicile. Inculpé d'être entré aux États-Unis sans autorisation après avoir été expulsé vers le Mexique, il a déjà passé 76 jours dans un centre de détention et restera derrière les barreaux en attendant son expulsion.

La fin d'une TRAC abusive?

Si on ne sait pas si Gregorio Cordova Murrieta sera le dernier citoyen mexicain expulsé grâce à TRAC, une certitude demeure, les immigrants illégaux ne seront plus repérés via cet outil. Les agents de l'ICE ont en effet perdu leur accès à la suite d'un article de The Intercept, publié plus tôt cette année. L'enquête révélait deux cas lors desquels des agents de la division des investigations de sécurité intérieure (HSI) ont utilisé des données de TRAC pour localiser des immigrants sans antécédents judiciaires.

Pendant des années, la procureure générale de l'Arizona, Kris Mayes, a défendu TRAC, balayant notamment d'un revers de la main les craintes que l'administration utilise la base de données de cet outil pour atteindre ses quotas d'expulsions avec l'ICE. Elle a cependant changé d'avis après que The Intercept a intenté une action en justice pour obtenir des documents concernant TRAC, et pris des mesures pour limiter l'accès des agents de la police de l'immigration.

La procureure a ainsi retiré l'accès à cet outil à ceux de la division Opérations d'exécution et d'expulsion (ERO) fin juin, a révélé la procureure au média. Dans le cadre de la politique d'expulsion tout azimut lancée par Donald Trump, des milliers d'agents du HSI y ont été réaffectés ces derniers mois.

"Ces données ne sont pas et n'ont jamais été destinées à être utilisées à des fins d'immigration", a martelé Kris Mayes, réaffirmant son soutien pour leur exploitation par les forces de l'ordre dans le cadre de leur lutte contre les cartels de drogue.

Selon Richie Taylor, porte-parole de la procureure, ce revirement est également lié à son inquiétude croissante concernant les actions de l'administration Trump ces derniers mois. Elle est ainsi prête à retirer l'accès à d'autres agences utilisant abusivement les données de TRAC. Des centaines d'entre elles ont d'ailleurs reçu un courriel leur rappelant que ces informations "doivent être utilisées à des fins spécifiques de blanchiment d'argent".

Cette annonce a ravi à moitié les associations de défense des libertés civiles, qui avertissent depuis des années que l'ICE utilise TRAC pour les explusions d'immigrants. Tel est le cas de l'ACLU, qui estime que la procureure a eu "raison de reconnaître le préjudice extraordinaire" lié à cette mauvaise utilisation, mais que ces mesures tardives n'étaient pas suffisantes. Pour elle, la seule solution est de fermer cette base de données.

Kesso Diallo