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Construction

"Des gens dorment dans leur voiture": faut-il construire des maisons dans les jardins pour régler la crise du logement?

Le prix des maisons remontent dans les périphéries des grandes villes.

Le prix des maisons remontent dans les périphéries des grandes villes. - Pixabay

40 villes d'Île-de-France sont accusées de bloquer la construction de près de 4.000 maisons par an. À l'heure où les Français peinent de plus en plus à trouver un logement, la "densification douce" peut-elle être une solution?

Comment résorber la crise du logement en France? La densification douce pourrait être une réponse (parmi d'autres) à cette vaste question, plaide l'entreprise Villes Vivantes. Par "densification douce", elle entend la possibilité pour les particuliers des zones pavillonnaires de faire construire une maison dans leur jardin ou de vendre une partie de leur terrain constructible.

Mais selon le cofondateur de la société David Miet, de nombreuses villes freinent des quatre fers, par principe ou sous la pression des riverains. L’entreprise pointe le recours à des règles spécifiques d'urbanisme pour empêcher ces constructions en jardin.

Pour le prouver, elle a analysé les PLUi (plan local d'urbanisme intercommunal) de différentes communes de région parisienne. Il en ressort une liste de 40 villes, situées à moins de 40 minutes de Paris en transport en commun, qui gèlent à plus de 90% leurs quartiers pavillonnaires grâce à une règle prétexte.

Villes Vivantes estime que, sans ces restrictions, 3.700* maisons supplémentaires pourraient sortir de terre dans ces communes chaque année. Soit +50% par rapport à leur production annuelle de logement (7.400 par an).

"Ont-elles le droit de ne pas accueillir?"

"Il ne s'agit pas de bâtir des immeubles mais des maisons dans des communes qui bénéficient déjà de services publics, de transports et d'équipements", expose David Miet. D'autant qu'une dizaine de ces villes franciliennes va accueillir une station du Grand Paris Express.

"Ont-elles le droit de ne pas accueillir alors qu’elles bénéficient d’investissements nationaux et régionaux comme le Grand Paris Express?", interroge David Miet. "Le fonctionnement du bassin d’emploi dépasse l'échelle communale, mais l'urbanisme se fait à échelle locale", pointe-t-il.

"La conséquence, c'est que les plus pauvres sont relégués toujours plus loin de là où ils travaillent."
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L'opposition des riverains

Si certains élus prennent ces dispositions à bas bruit, d'autres s'en vantent. Comme le maire de Rosny-sous-Bois qui se félicite d'avoir réussi à baisser les constructions de 66%. "Dans les quartiers pavillonnaires, le projet de PLUi vise à limiter les divisions parcellaires", assume l'élu dans le journal municipal de mai 2024. "Plus aucune construction ne sera permise à l'exception des annexes de type abris de jardin", se réjouit-il.

Une prise de position politique qui peut s'expliquer par l'opposition fréquente et parfois virulente des habitants aux nouvelles constructions. "Les riverains se manifestent avec une première approche de défiance", explique ainsi Philippe Knusmann, adjoint au maire UDI d'Issy-les-Moulineaux en charge du logement.

"L'acceptabilité de la densité en ville est compliquée, notamment dans le tissu pavillonnaire", confirme Damien Delaville, urbaniste à l'Institut Paris Région.

"Il y a un rapport à soi et à son espace privatif différent de ceux qui vivent dans l'habitat collectif", analyse-t-il.

À l'approche des élections municipales, les constructions ont d'ailleurs tendance à se raréfier, même si tous les maires interrogés assurent respecter leurs objectifs de production de logement.

"Refermer la porte derrière soi"

David Miet évoque aussi pour les habitants les cas de "traumatisme" d'un projet passé qui était trop gros, moche et/ou mal-pensé et qui engendre aujourd’hui une opposition frontale à toute nouvelle construction.

À cela s'ajoute une tendance à vouloir "refermer la porte derrière soi", selon les mots de David Miet. "Certains ont réussi à s'installer dans un cadre de vie agréable, mais maintenant, ils ne veulent pas que d'autres en profitent", dénonce-t-il. Une position reprise à demi-mot par la mairie d'Issy-les-Moulineaux.

"Les communes limitrophes de Paris n’ont pas vocation à accueillir tous les souhaits de logement", fait ainsi valoir Philippe Knusmann.

Le maire de Sceaux, Philippe Laurent, observe aussi sur son territoire "la volonté de ne pas voir de nouveaux habitants arriver". "C'est une nouvelle tendance apparue il y a une dizaine d’années –par crainte que les services rendus (écoles, crèches, équipements culturels et sportifs, etc…) ne suivent pas", explique celui qui est aussi secrétaire général de l'association des maires de France et vice-président de la Métropole du Grand Paris.

Trop de voitures?

L'augmentation de la population pose en effet la question du financement des services publics. Mais David Miet appelle à revoir le sens des priorités au vu de l'urgence de la situation.

"Des gens dorment dans leur voiture faute de pouvoir se loger, tant pis si la commune n'a pas les moyens de construire un nouveau gymnase", lance-t-il.

Cet urbaniste de formation pointe aussi le vieillissement et la baisse de population observés dans ces quartiers. Mais l'arrivée de nouveaux habitants dans un quartier pose aussi des problèmes de circulation, pointe l'Institut Paris Région. "La baisse de la population ne va pas forcément compenser l'augmentation du taux de motorisation des ménages depuis 40 ans", juge l'urbaniste à l'IPR Damien Delaville. "Il y a des quartiers qui ne sont pas prévus pour avoir autant de voitures."

Préserver la biodiversité

Reste une question essentielle: construire dans les quartiers pavillonnaires revient à réduire la surface de jardins. Tous les maires interrogés par BFM Business mettent ainsi en avant le souci de la préservation d'îlots de fraicheur, de biodiversité et d'espaces de respiration non-imperméabilisés.

Un argument que réfute en partie Villes Vivantes. "Les grands jardins sont difficiles à entretenir alors les riverains ont tendance à mettre de la pelouse, moins riche en biodiversité, ce qui compte c'est l'intensité végétale", explique David Miet.

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Mais le maire de Ris-Orangis n'est pas de son avis. "Il faut faire de la pédagogie, encourager à bien entretenir en respectant les fonctionnalités écologiques des jardins, on peut structurer des corridors de biodiversité", fait valoir Stéphane Raffalli (PS).

Mais alors comment entend-il loger la population? "Les gens se bousculent dans mon bureau pour demander un logement social, nous sommes très conscients de la crise qui fait rage", assure l'élu. "Le logement est un souci permanent mais l’objectif est de tenir tous les bouts."

Le problème de la sous-occupation

En plus des projets de construction de logements collectifs, le maire de Ris-Orangis veut "miser sur l'existant", par exemple en construisant sur les nombreuses friches de la commune. Il cite aussi les 400.000 logements vacants et les 5 millions de mètres carrés de bureaux vides en Île-de-France.

"Le vrai sujet, c'est aussi la sous-occupation des logements", affirme-t-il. 28% des logements franciliens sont sous-occupés, selon l'Insee.

"Ces situations concernent notamment les personnes âgées qui habitent seules ou en couple dans de grands logements, (...) autrefois occupés avec leurs enfants", confirme l'institut statistique.

Si l'Institut Paris Région estime que la division parcellaire peut contribuer à créer du logement, elle évoque également la "remobilisation de l'habitat déjà implanté". "Est-ce qu’on peut réussir à ramener d’autres personnes au sein du foyer? Créer des formes de co-living? Faire une extension ou une surélévation?", égraine Damien Delaville.

L'opportunité d'autoriser la construction en jardin peut d'ailleurs s'apprécier au cas par cas. En fonction de l'existant mobilisable, du nombre de friches, du taux de végétalisation sur la commune mais aussi des services publics disponibles et de l'organisation de la circulation. Ainsi, plutôt que de bloquer a priori la division parcellaire, il apparait plus judicieux d'évaluer plus finement sa pertinence et/ou de l'encadrer, afin d'anticiper les arrivées de population.

*Méthode:

Villes Vivantes est un bureau d'étude qui accompagne les particuliers dans leur projet de division parcellaire et/ou les collectivités dans la mise en place de projets de "densification douce".

L'entreprise a analysé 36.000 hectares représentant environ 38% des quartiers pavillonnaires de la région Ile-de-France (à partir des données de la startup iudo). Il en ressort une liste de 40 communes à moins de 40 minutes de Paris en transport en commun, qui gèlent à plus de 90% leurs quartiers pavillonnaires en interdisant la construction d'une deuxième maison à l'arrière de la maison existante grâce à la règle de la "bande A". Cette règle présente dans le PLUi interdit la construction au-delà de 20 mètres à partir de la route.

À partir de ce constat, en prenant en compte le taux de construction normalement observé en l'absence de restriction (2% par an), Villes Vivantes estime que, sans cette règle, 3.700 logements en tout pourraient être construits chaque année.

Selon l'entreprise, ce chiffre permettrait de garder un jardin d'environ 200 m2 par maison, avec une densité de 40 logements par hectares comparable à celle qu'on observe dans les centres-bourg des villages. Selon un sondage Ifop pour la Fédération des constructeurs de maisons, deux tiers des Français (67%) assurent qu’un jardin de 200 m2 ou moins leur suffit.

Marine Cardot