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Xavier Niel fait son show chez Vincent Bolloré

Xavier Niel, le 8 mai 2024

Xavier Niel, le 8 mai 2024 - Ludovic Marin

Le patron de Free croise le fer avec Vivendi en Italie mais entretient des liens forts avec Canal+. En coulisse, le célèbre entrepreneur soigne ses relations avec le sulfureux milliardaire.

Il sera là, présent en backstage et discret au premier rang. Maxime Saada, le président de L’Olympia assistera ce soir à un one-man-show un peu particulier. Celui de l’entrepreneur le plus célèbre de France: Xavier Niel. Le fondateur de Free, qui ne tient pas en place, publie mercredi prochain un livre au titre provocateur pour les très chics éditions Flammarion "Une Sacrée Envie De Foutre Le Bordel".

Malgré ses 57 ans, il n’a pas envie de se ranger. Une série d’entretiens avec son ami Jean-Louis Missika, qui fut administrateur de Free, au prix de 19,99 euros. Tout comme les places de son show, modestement pitché "Comment devenir milliardaire", vendues en quelques heures aux prix de 2 euros, 19,99 euros et 39,99 euros. Nouveau clin d’œil aux prix de ses forfaits mobile et de ses Freebox.

Pas de quoi enrichir la célèbre salle de spectacle et son propriétaire, Canal+. La chaine vient de reprendre L’Olympia à sa maison-mère Vivendi. "Xavier Niel qui se produit chez Vincent Bolloré faut quand même le faire!", s’amuse un cadre de chez Bouygues qui ne les porte pas dans son cœur.

La dernière fois que L’Olympia a accueilli un milliardaire entrepreneur, c’était… Vincent Bolloré, le 12 novembre 2015. En pleine crise chez Canal+, le nouveau propriétaire avait réuni ses salariés, ironisant sur son rôle de "psychopathe qui tue des gens dans une pension de famille" alors que les licenciements se multipliaient au sein de la chaine.

Cette fois, l’ambiance sera festive. Le président de L’Olympia ne recomptera pas la caisse. Maxime Saada est surtout le patron de Canal+ qui a beaucoup à gagner avec Xavier Niel et Free. En début d’année, sa présence avait été remarquée lors du lancement de la Freebox Ultra. Déjà, il avait discrètement assisté à la "keynote" de Xavier Niel qui proposait dans sa nouvelle box la chaine cryptée et quelques programmes phares: des séries, des matchs de football et de rugby. "C’est un vif succès" se contente-t-on chez Free.

Bonnes relations entre Free et Canal+

"Xavier Niel a une vraie relation avec Maxime Saada, mais pas avec Vincent Bolloré", assure un bon connaisseur. Depuis plusieurs années, les deux hommes se connaissent bien, assurent leur entourage. Leur rapprochement est avant tout lié au business. Canal + est devenue "une plate-forme de contenus qui mise sur sa diffusion grâce aux opérateurs télécoms", explique un proche de la chaine. Depuis quelques années, Free a étendu sa présence en Irlande, en Italie et en Pologne. De son côté, Canal+ a multiplié les acquisitions en Europe, en Asie et va mettre la main sur Multichoice, le premier groupe de chaines payantes en Afrique où Xavier Niel veut développer Free.

En plus de leur intérêt commercial évident, "il y a une bonne alchimie entre eux, assure Stéphane Richard. Ils ont le même style, direct et indifférent aux codes de l’establishment". L’ancien patron d’Orange les connait bien. Lui aussi a lorgné Canal+ il y a une dizaine d’années quand il échafaudait des meccanos avec Vincent Bolloré pour marier Orange et Telecom Italia.

Les deux fortes têtes se sont aussi retrouvées dans le ghetto de milliardaires de la luxueuse Villa Montmorency dans le 16e arrondissement. Maxime Saada y habite depuis quelques années, après Xavier Niel qui s’y est installé il y a dix ans, à quelque pas de… Vincent Bolloré. La légende raconte qu’il a d’ailleurs essayé de racheter une de ses villas. Mais quand l’homme d’affaires breton a appris l’identité de l’acquéreur, il a refusé de lui vendre…

La longue campagne d'Italie

En 2015, l’ambiance était un peu tendue entre Xavier Niel et Vincent Bolloré. Les deux entrepreneurs bataillaient pour la prise de contrôle de Telecom Italia. Le patron de Vivendi avait, comme à son habitude, lancé un raid. Et Xavier Niel, à la surprise générale, avait fait irruption dans le capital. "Il voulait contrer Bolloré" assure un de ses proches. Mais le fondateur de Free n’avait pas de moyens financiers suffisants.

Xavier Niel joue alors la carte de l’industriel des télécoms contre "Bolloré le financier". Et surfe sur la réputation déclinante de l’homme d’affaires français en Italie. Le gouvernement italien ne voulait pas du projet de Vincent Bolloré de vendre Telecom Italia (TIM) à Orange. Xavier Niel s’était rendu chez le Premier ministre pour tenter de le convaincre.

"Il a dit à Matteo Renzi qu’il ferait de Telecom Italia le pivot de la consolidation en Europe en apportant son opérateur en Suisse et même Free" se souvient un acteur du dossier. Il imite Vincent Bolloré à jouer plusieurs options à la fois, lorgne la filiale brésilienne de TIM et au pire, " je ferai une bonne plus-value" s’amuse-t-il à l’époque, comparant son raid à celui de LVMH sur Hermes. Xavier Niel jubile de se frotter aux mammouths du capitalisme.

Début 2016, le patron de Free réussit son coup: il obtient à bon prix des fréquences mobile, se lance en Italie et dynamite le marché en cassant les prix. Bis repetita après la France: les concurrents boivent la tasse. Vivendi a passé 2 milliards d’euros de pertes en 2021 et 2022. "Vincent Bolloré en veut à Xavier Niel d’avoir abîmé Telecom Italia" assure Stéphane Richard qui fréquentaient les deux hommes. "C'est le jeu du business, mais ce n’était pas dirigé contre nous, tempère un proche de la famille Bolloré. Il n’y a entre nous ni passion ni haine".

"Ni passion ni haine"

Xavier Niel gère sa relation avec Vincent Bolloré grâce à son fidèle lieutenant, Maxime Saada. Grâce aussi grâce à sa compagne Delphine Arnault qui a longtemps été administratrice d’Havas et proche du fils Yannick Bolloré, le PDG du groupe de pub. On est pourtant loin de l’époque où Xavier Niel et Vincent Bolloré, alors propriétaire de SFR, s’affichaient ensemble à un cocktail de l’Autorité de la concurrence. Depuis, les deux milliardaires se sont aussi éloignés politiquement. Le premier reste proche d’Emmanuel Macron quand le second continue à entretenir des relations tumultueuses avec le Président de la République.

Croiseront-ils un jour le fer? Les banquiers parisiens spéculent sur un rachat de l’espagnol Prisa par Vivendi qui en détient déjà près de 10 %. Le propriétaire de CNews récupèrerait aussi une participation minoritaire dans Le Monde. "Evidemment qu’on a regardé cette hypothèse, nous confie un proche du quotidien. Mais Xavier Niel a tout verrouillé". L’ancien propriétaire a logé ses parts dans une fondation qui empêche toute manœuvre de Prisa, malgré ses 20% de la structure qui chapeaute la société éditrice du Monde. Le groupe espagnol a vocation à apporter "un jour" ses actions à cette fondation, expliquait il y a six mois son patron Louis Dreyfus dans Les Echos. Mais il ne l’a pas encore fait.

Matthieu Pechberty Journaliste BFM Business