Ségrégation sexuée, précarité, bas salaires... Le profil des travailleurs de la "deuxième ligne"

Plus d'un million de caissiers et caissières ont continuer à travailler durant la pandémie. - Thierry ZOCCOLAN / AFP
Ils sont conducteurs de véhicules, agents d'entretien, caissiers ou encore aides à domiciles... Ceux qui exercent ces métiers font partie de ce qu'on appelle depuis le début de la pandémie les salariés de la deuxième ligne, autrement dit tous les emplois nécessaires à la vie quotidienne, qui ne pouvaient pas s'exercer à distance et qui n'étaient pas concernés par les fermetures administratives.
La Dares s'est penchée sur ces métiers dits de la "deuxième ligne" -pour les distinguer des professions médicales en première ligne- pour en dresser un portrait.
Ce sont 4,6 millions de salariés du secteur privé qui ont encouru un risque de contamination durant la crise sanitaire en continuant d’apporter à la population les services indispensables à la vie quotidienne, résume la Dares. Ces travailleurs de la "deuxième ligne", qui appartiennent à 17 professions, ont des conditions d’emploi et de travail hétérogènes mais ayant en commun d’être nettement moins favorables que celles de la moyenne des salariés du privé."
Premier constat: les métiers de la deuxième présentent un plus fort taux de ségrégation par genre que les autres professions. Les femmes sont ainsi pratiquement absentes des métiers du bâtiment (1,2 % parmi les ouvriers non qualifiés du gros œuvre), tandis qu’elles représentent la quasi-totalité (95 %) des aides à domicile et aides ménagères.
Plus des deux tiers des caissiers, employés de libre-service et des vendeurs de produits alimentaires sont également des femmes, tandis que les bouchers, charcutiers et boulangers sont à plus de 80 % des hommes.
"Cette structure très particulière de l’emploi par genre influe fortement sur les conditions d’emploi telles que les durées de travail et les salaires", analyse la Dares.
30% moins bien payés
Des métiers très genrés et aussi davantage soumis à la précarité. Plus de contrats courts et d'intérimaires et moins de CDI que dans le reste de la population active.
"En 2019, les salariés de la deuxième ligne sont plus souvent en contrat à durée déterminée (10,5%) que l’ensemble des salariés du secteur privé (7,5%), relève la Dares. Les CDD sont particulièrement répandus dans les professions de l’agriculture et du bâtiment et parmi les agents d’entretien (15% ou plus dans chacune de ces professions). Les intérimaires sont plus nombreux également (7,2%, contre 3,1% pour l’ensemble des salariés), notamment parmi les ouvriers non qualifiés de la manutention (36%), des industries agroalimentaires et du gros œuvre du bâtiment, des travaux publics, du béton et de l’extraction (22% chacun)."
Et la précarité s'accompagne fatalement d'un niveau de rémunération plus faible. Les salariés de la deuxième ligne touchent en moyenne un salaire de 1634 euros net par mois, soit 30% de moins que l'ensemble des salariés du privé (2337 euros).
"Compte tenu de ces niveaux de rémunération, la part des bas salaires (inférieurs à 1246 euros net) est plus élevée dans les métiers de la deuxième ligne que dans l’ensemble du secteur privé (18,0%, contre 11,9%, soit 1,5 fois plus), relève la Dares. Elle atteint 43% pour les aides à domicile et aides ménagères, 28% pour les ouvriers non qualifiés du second œuvre du bâtiment, 27% pour les agents d’entretien, 26% pour les maraîchers jardiniers viticulteurs, et les vendeurs en produits alimentaires."
Les forçats du Covid sont moins bien payés et ont surtout moins de perspective d'évolution. Les écarts de salaires avec les autres professions ne se réduisent pas avec l'âge, au contraire note la Dares.
"Au fil de la carrière, le différentiel salarial avec les autres professions tend à s’accroître, observe-t-elle. En 2018, l’écart de salaire mensuel net, de 17,0% pour les salariés âgés entre 25 et 29 ans, atteint 37% pour les 55-59 ans. Les perspectives de promotions sont en effet limitées et les carrières instables. À un horizon de cinq ans (entre 2010 et 2015), les salariés de la deuxième ligne ont une plus forte probabilité que les autres salariés de se retrouver au chômage (10,9 %, contre 6,8 %)."
Une prime pour les "deuxièmes lignes"
Les travailleurs de la deuxième ligne connaissent enfin des conditions de travail plus difficiles que les autres salariés du privé. En 2019, ils déclarent deux fois plus souvent avoir eu un ou plusieurs accidents au cours de leur travail lors des 12 derniers mois (20%, contre 11% des salariés du privé).
Le risque infectieux (mesuré avant la crise sanitaire) est par définition assez présent dans le quotidien des travailleurs de la deuxième ligne (37% contre 27% pour les autres professions) et encore plus marqué pour les aides à domicile et les aides ménagères (62%) ou les agents d’entretien (55%), mais se situe également à un niveau élevé pour les ouvriers qualifiés des travaux publics, du béton et de l’extraction (60%).
Le gouvernement a fait voter en avril une prime de 1000 euros défiscalisés qui concerne principalement ces travailleurs, plafond qui pourra être porté à 2000 euros "si l'entreprise ou la branche s'engagent formellement à des actions de valorisation de ces travailleurs."
