La mise en garde russe contre une "grave" pénurie pétrolière mondiale

Le risque de pénurie de pétrole est "grave", à en croire Igor Setchine. Quelle que puisse être sa propre approche des questions énergétiques mondiales, chacun peut au moins admettre que le PDG de Rosneft, du haut de ses 4 millions de barils-jour, sort des sentiers battus.
Dans un discours samedi au Forum économique international de Saint-Pétersbourg, reproduit sur 20 pages, il a voulu démontrer que le sous-investissement dans les hydrocarbures, dans un contexte général de quête d’énergies alternatives, allait provoquer un défaut d’offre de pétrole, alors que la demande est en train de retrouver sa trajectoire ascendante.
Selon lui, "sur la base des estimations existantes, autour de 17.000 milliards de dollars devraient être investis dans le secteur mondial du pétrole et du gaz pour soutenir les niveaux de production actuels jusqu'en 2040".
Or, poursuit-il, "cela représente environ un tiers de tous les investissements mondiaux dans l'énergie". Il faut ici comprendre que l’équation devient impossible à résoudre. Le président du pétrolier russe s’en prend, dans sa logique, à ceux qu’il qualifie de "lobbyistes de la transition énergétique". Mais pas seulement. Pour lui, les majors occidentales se sont aussi soumises aux seuls intérêts d’un certain type d’investisseurs. Alors, obnubilées par leurs programmes rachats d’actions et le versement de dividendes gonflés, elles n’explorent plus de nouvelles réserves, en se concentrant sur des projets industriels "à rendement proche".
Baril "vert"
Igor Setchine renvoie à l’illustration des chefs de file des minerais de fer, l’australien BHP et l’anglo-australien Rio Tinto qui ont, d’après lui, sous-estimé la demande et sous-investi, ce qui a entraîné un déficit des approvisionnements et provoqué un quasi-doublement des cours.
Au terme de son propos, le PDG de Rosneft plaide pour qu’il ne faille pas parler d’abandonner le pétrole en tant que tel, mais celui issu de projets "écologiquement sales". Igor Setchine, dans son élan, va jusqu’à avancer une notion de "baril vert". Le méga-projet Vostok Oil dans l’Arctique, officialisé l'an dernier en visant une production de 2 millions-jour, est ainsi supposé fournir un brut avec une empreinte carbone réduite de 75 %, du fait d’un pétrole à faible teneur en soufre et à l’utilisation complète du gaz associé.
Les commentaires d’Igor Setchine font aussi écho à ceux, moins détaillés, du vice-Premier ministre russe, Alexander Novak, qui, la semaine dernière a jugé que le sous-investissement dans les hydrocarbures allait nuire à l’économie mondiale. Là où le ministre saoudien de l'Energie a préféré le persiflage. Invité mercredi dernier à réagir à la requête documentée de l'Agence internationale de l'énergie auprès des compagnies de cesser toute prospection, Abdulaziz bin Salman a assimilé ce rapport à une suite de la comédie musicale américaine "La La Land" et d’ajouter "pourquoi devrais-je prendre cela au sérieux ?".
Force de frappe
Dans un télégramme de septembre 2008 révélé par WikiLeaks, l'ambassade des Etats-Unis en Russie présentait le grand patron de Rosneft comme à peu près la seule voix écoutée du Kremlin, en particulier s’agissant des dossiers énergétiques, c’est-à-dire de ce qui forme toujours la force de frappe géoéconomique russe. Les évolutions de négociations ces dernières années autour du partenariat avec l’Organisation des pays exportateurs de pétrole, ont quand même montré que son point de vue n'est pas toujours celui qui l'emporte.
Néanmoins, ce discours de Saint-Pétersbourg sur "la croisée des chemins" atteste, une fois encore, de l’étendue de son champ d’intervention, jusqu’à mettre en cause la politique monétaire américaine dans les équilibres internationaux.
"Aux États-Unis, nous assistons à une stimulation moins de la production réelle que du marché boursier. La capitalisation d'un certain nombre de secteurs augmente sans le soutien de facteurs fondamentaux, créant des risques pour l'économie mondiale." Contrairement à la Chine qui, soutient-il, fournit un "exemple de reprise dynamique".
En cela, ce discours est exactement en phase avec la stratégie d’alliance privilégiée de Moscou avec Pékin. Il intervient, par ailleurs, peu avant la première rencontre entre les présidents russe et américain, le 16 juin à Genève (Suisse), entretien au cours duquel cette stabilité des approvisionnements énergétiques mondiaux va forcément entrer en jeu.