Peut-on vraiment mobiliser l’épargne des Européens pour booster la croissance de l'UE?

L'idée de mobiliser l'épargne européenne n'est pas nouvelle. - INA FASSBENDER © 2019 AFP
Mardi 28 mai 2024, Emmanuel Macron et Olaf Scholz ont marqué leur volonté commune de créer un produit d’épargne européen qui… existe déjà sous différentes formes (les ELTIF et les PEPP). L’objectif est vaste: "mobiliser les capitaux privés au service de la croissance européenne". Et éviter ainsi qu’ils ne préfèrent s'investir aux Etats-Unis.
Comme BFM Business l’a notamment souligné, l’idée n’est pas nouvelle. Autant dire qu’elle n’a jamais aboutie! Faute d’accord sur une harmonisation des réglementations relatives, notamment fiscales, des différents pays de l’UE ; ce qui renvoie à un autre vieux projet toujours reporté: la constitution d’un marché européen unifié des capitaux.
Cela revient-il à dire que la mobilisation européenne de capitaux qu’appellent de leurs vœux les responsables allemands et français est vouée à être rapidement oubliée? Peut-être pas car le contexte et l’approche ont, par rapport aux années précédentes, sensiblement changé.
Certes, cela n’est pas flagrant dans les commentaires que l’on peut lire ici et là sur l’annonce des deux dirigeants. Vieilles lunes culturalistes (les Américains, voyez-vous, sont des cowboys dans l’âme, ils aiment le risque, tandis que les Européens sont de gros rentiers frileux) et confusion complète, dès lors que l’on parle de l’épargne des ménages, entre les objectifs de placement (qui veulent une épargne liquide et sans risque à court et moyen terme) et d’investissement (qui privilégient le rendement et sont capables de supporter du risque à long terme). Bref, le débat n’a guère avancé depuis trente ans.
La question des retraites oubliée
Par ailleurs, les vraies questions ne sont pas posées. Car si l’Américain a un portefeuille boursier deux fois plus important que celui du Français (40% versus 20% du patrimoine financier moyen des ménages), cela suit essentiellement les régimes de retraite, par capitalisation dans un cas et par répartition dans l’autre. En d’autres termes, si les ménages français prennent nettement moins de risques, c’est qu’ils n’en ont pas besoin. Ils vivent dans l’idée que leur retraite est assurée, de sorte qu’ils préfèrent l’immobilier pour lui donner un complément, parce que cela représente pour eux un investissement à la fois plus pratique et plus liquide à long terme. Un contrat d’assurance vie en euros complètera éventuellement l’ensemble et le tour est joué.
Seulement, ce contexte est en train de complètement changer. A long terme, le niveau des pensions de retraite ne paraît plus aussi (voire plus du tout?) assuré. Nous l’avons signalé dans ces colonnes: depuis quelques années, de plus en plus de jeunes Français épargnent pour leur retraite. Quoiqu’à peu près totalement négligée, c’est une novation très importante et qui montre que les plus jeunes sont loin de témoigner d’une aversion générale au risque – de fait, ils sont nombreux à se lancer, souvent de manière très naïve, sur le trading des cryptos.
Faire converger des placements existants
Il y a donc une demande émergente, face à laquelle Bercy prône une approche intéressante: non pas créer un produit d’épargne européen nouveau (ce qui est généralement recommandé, comme dans le Rapport Noyer) mais une sorte de label pour faire converger des supports existants sur un cahier des charges commun (comme d’investir dans un niveau minimal d’actions européennes), assorti de coups de pouce fiscaux.
Cette approche permettrait d’aller plus vite sans doute et éviterait de créer un ou de nouveaux supports noyés parmi tous ceux qui existent ; comme ceux cités au début de cet article dont vous n’avez sans doute jamais entendu parler.
Mais alors, l’approche paraît largement insuffisante. La diffusion d’un tel label supposerait en effet la mise en avant de places de marché pour les dépôts et l’épargne – comme l’allemande Raisin, qui a su s’imposer à une échelle paneuropéenne - et surtout un véritable accompagnement des épargnants.
Alors que de nouvelles façons d’épargner émergent et bouleversent parfois fortement les pratiques traditionnelles, mobiliser l’épargne à long terme ne pourra se faire sans conseils contextualisés, fondés sur l’analyse des comportements et des objectifs de vie des épargnants. Par rapport à certains établissements étrangers, surtout anglo-saxons, les banques françaises sont clairement en retard quant aux outils automatisés qui permettent de standardiser ce genre de conseil. Mais elles ont montré, ces dernières années, qu’elles pouvaient orienter l’épargne sur des objectifs précis, en l’occurrence environnementaux ou territoriaux.
Il serait dommage de ne pas prendre en compte ces différents éléments car c’est à leur niveau que tout peut se jouer. A défaut, une mobilisation de capitaux européenne sera probablement inopérante.