Nahel: pourquoi la cagnotte en faveur de la famille du policier pourrait ne pas être taxée par le fisc

Comment sont fiscalisées les cagnottes en ligne? Après la polémique sur le bien-fondé de la cagnotte de soutien à la famille du policier ayant tué Nahel lors d'un contrôle routier, de nombreuses personnes s'interrogent sur la fiscalité qui s'appliquera. Si la question ne se pose généralement pas pour des cagnottes de faible ampleur, celle-ci a récolté plus de 1,6 million d'euros grâce à plus de 82.000 dons.
D'un point de vue fiscal, la situation est plus complexe qu'il n'y paraît. En principe, tous les dons doivent être déclarés aux impôts et sont soumis à des droits de donation. Vous devez d'ailleurs faire cette déclaration, y compris si le don en question est exonéré. Or, quand le don ne provient pas de votre famille, il n'y a aucune exonération (sauf quelques cas particuliers mais qui ne s'appliquent pas ici) et un taux de 60% s'applique sans aucun abattement (pour le cas qui nous intéresse ici).
Autrement dit, si on suit ce raisonnement, le fisc devrait récupérer environ 960.000 euros sur les quelque 1,6 million d'euros. S'y ajoutent des frais de cagnotte qui sont, chez Gofundme, la plateforme de collecte concernée, de 2,9% auxquels il faut ajouter 0,25 euro par don, comme l'explique Gofundme sur cette page. Soit 66.900 euros de frais en tout (46.400+20.500 euros). La famille du policier concerné récupérerait alors un peu plus de 573.000 euros.
Il existe certes des exonérations sur certains dons, et notamment pour les militaires, sapeurs-pompiers, gendarmes, policiers et agents des douanes blessés ou décédés dans l'accomplissement de leur mission, comme le rappelle le site des impôts ici. Mais "on n'est pas du tout dans ce cas-là, clairement", explique à BFM Business Frédéric Douet, professeur de droit fiscal à l'Université Rouen-Normandie et membre du Conseil des prélèvements obligatoires.
Des versements davantage assimilables à des présents d'usage
Plus globalement, ce raisonnement de la donation ne tient pas forcément la route d'un point de vue juridique. "Juridiquement, pour être en présence d'une donation il faut que le donateur soit animé d'une intention libérale envers le donataire - celui qui reçoit - et qu'il s'appauvrisse au profit de celui-ci. Il existe des hypothèses dans lesquelles une personne est animée d'une intention libérale sans pour autant s'appauvrir: cadeau d'anniversaire, pourboire, quête lors d'un service religieux…" , rappelle Frédéric Douet.
Les versements sont alors considérés comme des présents d'usage. "Les frais de nourriture, d'entretien, d'éducation, d'apprentissage, les frais ordinaires d'équipement, ceux de noces et les présents d'usage ne doivent pas être rapportés, sauf volonté contraire du disposant. Le caractère de présent d'usage s'apprécie à la date où il est consenti et compte tenu de la fortune du disposant", précise ainsi l'article 852 du Code civil.
"Les cadeaux d'anniversaire font partie de ce que l'on appelle les présents d'usage. Il faut qu'il existe une occasion particulière de faire un cadeau (mariage, fête religieuse…) et que le montant du cadeau ne soit pas disproportionné par rapport à la fortune de celui qui le fait. Les présents d'usage échappent au droit des successions et au droit fiscal", détaille encore Frédéric Douet.
Par ailleurs, il n'y a pas de seuil précis en la matière. Un cadeau de 30.000 euros par un milliardaire peut très bien être considéré comme un présent d'usage, alors que le même montant sera assimilé à une donation par le fisc pour les classes moyennes par exemple.
Un versement moyen inférieur à 20 euros
"Il est possible de suivre le même raisonnement à l'égard des cagnottes en ligne qui ne sont ni plus ni moins que la version moderne de l'enveloppe qui circulait lors par exemple d'un anniversaire. La somme globale peut être importante mais chaque versement pris isolément ne constitue pas un appauvrissement de celui qui l'effectue", estime Frédéric Douet.
"Pour cette raison il est possible de soutenir que le bénéficiaire de la cagnotte n'est pas redevable des droits de donation."
D'autant que le versement moyen pour cette cagnotte, un peu moins de 20 euros, reste relativement modeste. Toutefois, la question pourrait se poser pour certains versements au sein de cette cagnotte qui ont parfois atteint plusieurs milliers d'euros, comme ont pu le constater des journalistes de BFM avant la clôture de la cagnotte.
Un autre élément pourrait être mis en avant: s'agit-il d'une donation si on considère que le versement de 1,6 million d'euros est fait en une fois à un bénéficiaire? On pourrait alors estimer que c'est l'entreprise Gofundme qui effectue une donation. Mais selon Frédéric Douet, cela ne tient pas.
"La plateforme ne joue que le rôle d'intermédiaire. Ce qui compte c'est la relation entre le contributeur et le bénéficiaire de la cagnotte", souligne-t-il.
Sur ces questions, le fisc semble quoi qu'il arrive assez embarrassé. D'autant qu'il n'y a pas de jurisprudence sur laquelle s'appuyer. Personne à la Direction générale des finances publiques n'était disponible dans l'immédiat pour répondre à nos questions.