BFM Business
Economie

Les collectivités locales propriétaires des grands stades, une spécificité française

Le Roazhon Park, à Rennes

Le Roazhon Park, à Rennes - AFP

Contrairement aux autres grands championnats européens, l'immense majorité des stades où évoluent les clubs de football français de première division sont la propriété des collectivités locales.

"Le stade, ce n'est plus possible, niet, terminé!". Lourdement endettée (plus de 1,5 milliard d’euros), la ville de Marseille veut se débarrasser du mythique Vélodrome dont elle est propriétaire depuis 1937. C’est en tout cas le souhait formulé début février par son maire, Benoît Payan, estimant que l’équipement "coûte trop d’argent" aux contribuables.

Comme d’autres collectivités à l’époque (Nice, Bordeaux, Saint-Etienne…), la Ville de Marseille a eu recours à un partenariat public-privé (PPP) pour rénover son stade à l’occasion de l’Euro 2016 organisé en France. Une mission confiée au prestataire privé Arema qui a obtenu dès 2014 l’exploitation de l’infrastructure (avant de céder la seule exploitation commerciale à l’OM en 2018) et s’est engagé à entretenir l’enceinte et à la maintenir aux normes jusqu’en 2045.

En contrepartie, la Ville lui verse une redevance comprise entre 15 et 18 millions d’euros par an (soit un coût total de plus de 500 millions d’euros sur 31 ans) et perçoit de l’Olympique de Marseille un loyer annuel d’environ 6 millions d’euros, et jusqu’à 9 millions si le club participe à la Ligue des Champions. Trop peu, selon le maire de la ville phocéenne qui critique désormais le modèle des PPP, une "gabegie financière".

Toujours est-il que sa volonté de vendre le Vélodrome pour assainir les finances de la municipalité est un cas particulièrement rare alors que la France se démarque de ses voisins par une tradition de forte implication des collectivités locales dans la gestion des équipements sportifs.

Adopter le modèle lyonnais?

PPP, bail emphytéotique, délégation de service public… Les modèles d’exploitation des stades des clubs professionnels sont multiples. Il n'empêche, les collectivités locales sont, en France, propriétaires des enceintes sportives dans la très grande majorité des cas.

Mais alors que la crise sanitaire affecte les caisses des municipalités, la tentation de suivre l'exemple marseillais pourrait être forte pour certaines d'entre elles. D’autant que le modèle de l’Olympique lyonnais, seul club de première division à être propriétaire de son stade, suscite de plus en plus d'intérêt.

En 2019, la ville de Nîmes a cédé pour 8 millions d’euros le stade des Costières au Nîmes Olympique qui prévoit de le détruire avant de le reconstruire. Des discussions en ce sens ont également eu lieu à Montpellier et Brest. Si ce modèle est coûteux pour les clubs à court terme, il leur octroie d'importantes marges de manœuvre en leur permettant d’exploiter leur stade comme ils le souhaitent et de diversifier leurs revenus à long terme. Tandis que le budget Sport des collectivités peut, lui, être davantage orienté vers le monde amateur.

Plus qu'un outil sportif

Pour autant, il ne s’agit là que d’exceptions. Les collectivités locales demeurent en général attachées à leur stade et refusent de s'en séparer.

C’est culturel. Nos collectivités ont toujours été propriétaires de l’équipement, elles ont dû mal à envisager cette solution", observe Olivier Monna, directeur du département formation du Centre de Droit et d’Economie du Sport à Limoges.

Même s’il reconnaît qu'"il y a eu une évolution lorsqu’elles ont commencé à accepter de faire financer les projets de construction et rénovation par le privé", notamment pour l’Euro 2016.

Surtout, les stades constituent un formidable outil d’aménagement du territoire pour les pouvoirs publics qui s’appuient sur la construction ou la rénovation de ce type d’infrastructure pour dynamiser des quartiers.

L’équipement a quelque chose de structurant pour la collectivité. Ce n’est pas uniquement l’équipement sportif, c’est un projet d’urbanisme profond. C’est un investissement global. Cela fait aussi partie des missions des collectivités de moderniser les quartiers", poursuit Olivier Monna.

Et sans leur intervention, les clubs n’auraient sans doute pas pu s’offrir de tels écrins. Car si le modèle est aujourd’hui remis en question, les partenariats public-privé conclus par les villes avec un acteur privé "ont constitué un formidable appel d’air pour booster la construction d’équipements", rappelle Olivier Monna.

"Conserver une enceinte sportive dans sa ville est un sacré atout"

A Rennes, pas de PPP mais un contrat d’autorisation d’occupation temporaire. En clair, la Ville met le Roazhon Park, dont elle est propriétaire, à disposition du club qui lui verse en contrepartie un loyer proche d’un million d’euros par an. Le budget municipal annuel prévoit de surcroît 100.000 euros pour financer les quelque travaux à la charge de la collectivité. Le Stade rennais, lui, est responsable de la maintenance, de l’entretien, des réparations...

La municipalité estime être dans son rôle en demeurant propriétaire des lieux et en contribuant au développement du club.

On n’a pas envie de vendre le stade. (…) Ce sont des fonctions qu’il faut pouvoir assumer", explique Frédéric Bourcier, conseiller municipal délégué aux sports de la capitale bretonne, arguant que "la ville vit au rythme de son club, en particulier ces dernières années".

Ici aussi, le stade participe à la modernisation de tout un quartier. "On a une seconde ligne de métro qui va ouvrir dans quelques mois avec une station à 800 mètres du stade", se réjouit le conseiller municipal. Et le contrat passé avec le Stade rennais offre à la collectivité l'opportunité d’étendre son action en achetant au club des prestations d’un montant presque équivalent au loyer qu’elle lui verse.

Parmi elles, des places en loges et des publicités pour la ville dans le stade et sur les maillots, mais également des billets pour les matches offerts aux jeunes ainsi que des animations organisées par le club dans différents quartiers.

On verse une prestation pour que le stade continue son ancrage dans le territoire. (…) On est très satisfait d’avoir un Stade rennais qui entretient un lien avec le territoire, ce n’est pas le cas partout", souligne Frédéric Bourcier.

Pas d'acheteur

Si être propriétaire de son stade peut se révéler coûteux pour une collectivité, en particulier dans le cadre des partenariats public-privé, il n’est pas si simple de s’en débarrasser. D’abord parce que les enceintes sportives détenues par les villes relèvent des domaines publics au même titre que les écoles, collèges ou tout autre bâtiment d’intérêt public. Autrement dit, elles sont impossibles à vendre sous ce statut car considérées comme "inaliénables". Dans le cadre de la vente du Vélodrome par exemple, il faudra passer par un changement de statut en le soumettant au débat et au vote, ce qui peut prendre du temps.

Une fois que le Vélodrome passe sous statut ‘domaine privé’, avant de pouvoir procéder à une mise en vente, il faut régler les détails juridiques avec le prestataire Arema sur le cadre juridique. (…) Il faut donc changer les contrats", souligne Pierre Rondeau, professeur d'économie à la Sports Management School à Paris et co-directeur de l’Observatoire du sport à la Fondation Jean-Jaurès. Ce qui, là encore, risque de retarder le processus.

Autre obstacle susceptible de rebuter les collectivités intéressées par la vente de leur stade: la fixation du prix qu’elles ne peuvent décider librement. Et pour cause, elles doivent se tourner vers les Domaines dont le rôle est d’estimer la valeur de l’équipement. Enfin, "le fait de vouloir vendre un stade ne règle pas le problème, il faut trouver quelqu’un pour l’acheter", relève Olivier Monna.

Car entre les conséquences de l’épidémie de Covid-19 et la crise des droits TV qui frappent le football français, peu de clubs semblent financièrement en mesure de d’acheter leur stade. Reste l’option d’une vente à un investisseur tiers qui n’est évidemment pas sans risque pour le devenir de l’infrastructure. "La collectivité n’a pas forcément envie que la nature du bien change", note Olivier Monna. Même son de cloche du côté de Frédéric Bourcier. "Vendre le stade de la Ville à un fonds de pension américain ne nous viendrait pas à l’idée, c’est très instable", affirme-t-il, préférant promouvoir le modèle rennais dans lequel "la collectivité sera toujours là".

https://twitter.com/paul_louis_ Paul Louis Journaliste BFM Eco