Malgré la retraite à 59 ans et un âge médian de 30 ans, la population trop jeune de l'Indonésie n'est pas qu'une bénédiction

Jakarta - ADITYA IRAWAN
Quatrième pays le plus peuplé de la planète avec 284 millions d'habitants, l'Indonésie veut se faire une place parmi les géants de ce monde. Actuellement 16e puissance économique mondiale, elle entend intégrer le top 10 dès 2030 avant de viser le quatrième rang d'ici 2045. Une ambition confortée par une croissance dynamique de son PIB: environ 5% par an depuis la crise asiatique de 1997.
Et pour tenter de rivaliser avec les principaux pays développés, l'Indonésie dispose d'un atout que les économies occidentales notamment n'ont pas: sa démographie. Avec une population qui croît en moyenne de 1,13 % par an, "le PIB par habitant a été multiplié par six, de 2000 à 2022", expliquait en 2024 une étude de la Direction générale du Trésor.
"Bonus démographique"
L'Indonésie profite aujourd'hui de ce que les experts appellent un "bonus démographique": plus de 70% de sa population est en âge de travailler (15-64 ans) contre un peu plus de 60% en France. Une proportion qui devrait encore augmenter jusqu'en 2045, selon une étude du centre de recherche IDN.
Là-bas, la génération Z (née entre 1997 et 2012) est d'ores et déjà la plus nombreuse (27,94% de la population totale), devant les millenials (nés entre 1980 et le milieu des années 1990) qui représentent 25,87% de la population. L'âge médian de la population indonésienne atteint seulement 30 ans contre 42 ans en France et même près de 45 ans dans l'UE selon la Commission européenne.
De quoi réjouir l'ancien pape François, en visite à Jakarta l'an dernier: "Dans votre pays, les gens font trois, quatre ou cinq enfants, c'est un exemple pour chaque pays, alors que certains préfèrent n'avoir qu'un chat ou un petit chien", avait déclaré le souverain pontife.
La réalité n'est pas tout à fait celle-là: si l'indice de fécondité de l'Indonésie excédait bien 5 enfants par femme en 1975, il a reculé à mesure que le pays s'est développé avec un programme efficace de planification familiale. Il s'établit désormais aux alentours de 2. Suffisant malgré tout pour assurer le remplacement des générations. Dans le même temps, l'espérance de vie atteint un peu plus de 70 ans mais progresse d'année en année. Raison pour laquelle le gouvernement a relevé l'âge de départ à la retraite en début d'année... à 59 ans. Très loin encore des niveaux observés dans les économies occidentales compte tenu du nombre d'actifs dans le pays.
Des Indonésiens jugés trop vieux exclus du marché du travail
Si le "bonus démographique" est une aubaine pour l'Indonésie, il ne peut à lui seul stimuler l'économie indonésienne. Encore faut-il que les pouvoirs publics créent les conditions propices pour qu'il participe effectivement au développement du pays sans devenir un poids. Or à ce stade, Jakarta ne semble pas réussir à pleinement exploité cet avantage.
Sur la santé d'abord, le président Prabowo Subianto élu en 2024 a certes mis en place un programme contre la malnutrition via la distribution de repas gratuits pour 83 millions d'écoliers et de femmes enceintes. Objectif: lutter contre les retards de croissance dont est victime un enfant indonésien sur cinq. Mais, au-delà de son coût jugé faramineux (plus de 20 milliards d'euros), des cas d'intoxications alimentaires et des difficultés logistiques ont rapidement porté préjudice à l'initiative.
Sur le front de l'emploi ensuite, la situation est loin d'être optimale malgré le nombre de bras disponibles. Ces derniers jours, les médias locaux se sont fait l'écho d'exclusion de certains Indonésiens du marché du travail avec des cas fréquents d'offres d'emploi assorties de limite d'âge, exigeant parfois que les candidats aient moins de 30 ans.
"Certaines entreprises interprètent la productivité en termes d'âge. Elles hésitent également à embaucher des travailleurs plus âgés, car elles pensent qu'ils gagneront un salaire plus élevé ou qu'ils sont trop expérimentés pour le poste", a expliqué à Deutsche Welle Indonesia Telisa Felianty, économiste à l'Université d'Indonésie.
Mais "la discrimination fondée sur l'âge peut empêcher l'économie nationale d'atteindre son potentiel optimal (...)", a-t-elle ajouté.
Une jeunesse désenchantée
Le taux de chômage en Indonésie s'établit actuellement aux alentours de 5% mais est sans doute-sous estimé en raison du poids de l'économie informelle qui représente 60% de l'emploi du pays. Ce qui "constitue un véritable frein, avec un niveau des salaires environ deux fois moins élevé que dans le secteur formel selon l’OCDE", souligne une étude de BPI France.
L'organisme constate aussi "le faible niveau de qualification des travailleurs" qui "pèse également sur la productivité". Et l'annonce en début d'année du président Prabowo Subianto de coupes budgétaires de 18 milliards d'euros notamment dans l'éducation ne devrait rien arranger.
Cette décision et plus largement la façon dont sont gérées les finances publiques dans le pays a provoqué en février dernier la colère des étudiants qui sont descendus dans la rue à plusieurs reprises pour protester. Un mouvement marqué par le slogan "#KaburAjaDulu" ("C'est le moment de fuir"), rendu célèbre sur les réseaux sociaux pendant la contestation qui a mis en lumière le malaise d'une jeunesse indonésienne frustrée de ne pas être écoutée et préoccupée par l'avenir.
Fuir, beaucoup de jeunes indonésiens le font déjà. Face au manques d'opportunités professionnelles ou à cause des rémunérations jugées trop faibles, nombreux sont ceux à quitter le pays pour des économies développées de la région comme le Japon, Taïwan ou la Corée du Sud. Selon Le Monde, environ 5 millions d’Indonésiens vivraient aujourd'hui dans l'un de ces trois pays. Et les jeunes indonésiens ne sont pas vraiment incités à rester. En réponse au hashtag popularisé pendant les manifestations de février, le ministre adjoint au Travail avait déclaré: "Fuyez si c'est nécessaire, et ne revenez pas".
Un taux de pauvreté encore élevé
Grâce à sa croissance vigoureuse, l'Indonésie est parvenue à réduire son taux de pauvreté qui a atteint 8,47% en mars au sens de l'institut statistique indonésien, contre plus de 10% il y a quatre ans. Mais au sens de la Banque mondiale qui utilise une autre méthodologie, la pauvreté y est beaucoup plus importante puisqu'elle concernerait 60,3% de la population.
Et les inégalités demeurent importantes, entre les plus riches et les plus modestes, mais aussi entre les habitants de zones urbaines (taux de pauvreté de 6,7%) et ceux de zones rurales (11%), selon l'institut statistique indonésien.
C'est ce contre quoi veut se battre Dedi Mulyadi, gouverneur de la province de Java-Ouest. En avril, il a suscité la polémique en affirmant que la pauvreté était principalement due aux nombres d'enfants élevés dans les foyers les plus pauvres. Avant de suggérer d'accorder les aides sociales aux hommes à condition qu'ils acceptent une vasectomie.
"Je ne sais pas pourquoi les familles pauvres ont généralement beaucoup d'enfants, alors que les riches ont du mal à en avoir, même après avoir payé deux milliards de roupies pour une FIV (...) Arrêtez d’avoir des enfants si vous ne pouvez pas subvenir à leurs besoins", avait-il lancé. Des déclarations provocatrices qui lui ont valu de nombreuses critiques, rapporte le South China Morning Post. Le gouvernement lui a vite voulu éteindre la polémique en jugeant l'idée "pas pertinente" et "difficile à mettre en oeuvre".