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Guillaume Almeras

Faut-il vraiment dérouler le tapis rouge à JP Morgan?

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[AVIS D'EXPERT] Alors que JP Morgan a inauguré ses nouveaux locaux parisiens en présence d'Emmanuel Macron cette semaine, notre expert Guillaume Almeras se demande si on n'a pas fait entrer le loup dans la bergerie. Les banques américaines pourront-elles concurrencer demain les banques européennes sur notre continent?

Cette semaine, Emmanuel Macron, a marqué de sa présence l’inauguration par JP Morgan de ses nouveaux locaux parisiens. Liée au forum "Choose France", visant à séduire les grands patrons internationaux pour qu’ils investissent dans l’Hexagone, la démarche du Président de la République chez JP Morgan voulait particulièrement souligner l’attractivité de Paris comme place financière européenne post-Brexit. Or si cela a été largement repris et commenté, il est assez étrange que personne n’ait souligné quel challenger possible et potentiellement redoutable JP Morgan pourrait par ailleurs devenir pour les banques françaises et européennes. Cela invite à se demander si, à cet égard, nous ne sommes pas en retard d’une guerre!

La concurrence des banques américaines en Europe? Personne n’y a jamais cru. Et c’est encore moins le cas aujourd’hui. Citigroup ne vient-il pas d’annoncer son retrait de treize pays, dans lesquels sa part de marché lui semble insuffisante? Et alors qu’HSBC vient de céder son réseau français, soldant ainsi douloureusement l’une des rares tentatives étrangères pour développer une présence d’envergure sur notre territoire, le marché bancaire français parait une forteresse décidément inexpugnable.

Digitale, donc plus facilement internationale

Pourtant, en janvier dernier, JP Morgan a clairement annoncé son intention de se développer internationalement dans la banque de détail. Pourquoi cette annonce est-elle passée quasi inaperçue en France? Parce que nous ne sommes pas au centre du jeu! Parce que nous n’apparaissons pas comme une cible prioritaire, nous considérons que ces visées ne nous concernent pas. Tandis qu’à la suite du Brexit, nous pouvons caresser la perspective –sans doute assez illusoire– de devenir la première place financière européenne.

Pourtant, parce qu’elle sera digitale, la banque de détail sera demain beaucoup plus facilement internationale qu’à l’époque où elle s’appuyait avant tout sur un réseau d’agences. Cela, ce sont d’ailleurs quelques grandes banques européennes, particulièrement espagnoles, qui l’ont les premières montré. Et dans ce cadre, les principales cibles ne sont pas européennes. C’est en Inde que Google et Facebook – car les Big Tech sont entrées dans le jeu – aussi bien que Mastercard poussent leurs pions dans les paiements numériques et le e-commerce. C’est au Brésil que JP Morgan vient de prendre 40% dans la banque digitale C6 (tandis que Warren Buffett investissait 500 millions de dollars dans Nubank). Et quant à l’Europe, Brexit ou non, c’est d’abord au Royaume-Uni que les grandes banques américaines ont choisi de développer leurs nouvelles solutions de banque digitale.

De grandes manœuvres semblent se préparer

Goldman Sachs a ouvert la marche en y implantant sa néobanque Marcus en 2018, pour le moment limitée aux comptes de placement et d’épargne, avec le lancement prochain d’une plateforme automatisée à laquelle, entrant à son tour dans la course, JP Morgan vient de répondre en rachetant le roboadvisor britannique Nutmeg. Réciproquement, JP Morgan ayant commencé, pour lancer sa propre solution digitale outre-Manche, à recruter chez les néobanques anglaises Revolut, Starling ou Monzo, Goldman Sachs a pris une participation dans Starling. Et JP Morgan s’est encore associé à ACI Worldwide pour proposer aux commerçants européens des solutions d’acceptation des paiements digitaux.

On le voit, de grandes manœuvres semblent se préparer, qui à terme n’auront aucune raison de se limiter au Royaume-Uni et à côté desquelles les quelques centaines ou même milliers d’emplois que les relocalisations post-brexit pourront concerner peuvent paraitre représenter un enjeu assez mince.

C’est une réalité dont il faut désormais tenir compte: les plus grandes banques américaines sont aujourd’hui florissantes. Leur capitalisation écrase celle des Européennes et, beaucoup plus vivement que ces dernières, elles ont engagé leur transformation technologique à marche forcée – un JP Morgan y consacre 6 milliards de dollars par an. De sorte qu’elles sont à même de tisser des liens étroits avec les Big Techs.

Autant dire que face à des banques européennes demeurées davantage prisonnières des anciens modèles, les établissements financiers américains peuvent, plus rapidement qu’on ne le croit, présenter un avantage concurrentiel considérable dont il n’y a peut-être pas lieu, à ce stade, d’attendre l’arrivée avec impatience.

Guillaume Alméras, fondateur du site de veille et de conseils Score Advisor