TOUT COMPRENDRE - Pourquoi le mégaprojet gazier de Totalenergies en Afrique du Sud est-il si décrié?

Totalenergies souhaite lancer un colossal projet d'extraction de gaz, au large de l'Afrique du Sud. - AFP
Au cœur d'une crise de l'approvisionnement en carburant qui dure depuis plusieurs jours en France, Totalenergies regarde aussi vers l'autre bout du monde. Le groupe souhaite en effet lancer un colossal projet d'extraction de gaz, au large de l'Afrique du Sud.
Après avoir entrepris des opérations de prospection dans la région, l'entreprise a découvert deux immenses champs gaziers, enfouis à 1000 mètres de profondeur, dans la zone de Brulpadda, à 175 km des côtes. Selon les informations recueillies par plusieurs associations de protection de l'environnement, ces gisements représentent un milliard de barils d’équivalent pétrole au minimum.
Le 5 septembre dernier, la multinationale avait demandé aux autorités sud-africaines une licence de production pour extraire ces volumes de gaz, ont rapporté l’organisation écologiste sud-africaine The Green Connection et l’ONG française contre la destruction de l’océan Bloom. Et en cas de feu vert des autorités sud-africaines, le pétrolier tricolore prévoit d'investir trois milliards de dollars pour entreprendre des opérations de forage sur ces deux gisements.
Six mois plus tôt, le groupe avait obtenu une autorisation de la part du gouvernement sud-africain pour réaliser des études de prospection. Fin juillet, il déposait un rapport d’impact environnemental pour forer plusieurs puits d'explorations au large de la côte ouest du territoire, rapporte Mediapart.
• Pourquoi Totalenergies est-il implanté dans la région?
L'intérêt de Totalenergies pour la région ne date pas d'hier. En 2014, le gouvernement sud-africain lançait l’opération Phakisa pour attirer des investisseurs internationaux et booster l'exploitation de ses gisements. Un appel auquel avaient répondu Shell, Qatar Petroleum mais aussi Totalenergies. Après de premières explorations, le pétrolier français avait annoncé avoir découvert un important gisement de gaz, en février 2019, puis un second, en octobre 2020, selon le média d'investigation.
Pour le gouvernement sud-africain, plus qu'un levier de croissance, l'exploitation de gisements de gaz représente un moyen de sortir de sa dépendance au charbon. Aujourd'hui, la production d'électricité du pays dépend à 80% des centrales thermiques au charbon, comme le soulignait Le Point, en novembre 2021.
• Quelles conséquences pour l'environnement?
Depuis qu'il a été rendu public, plusieurs voix se font entendre pour dénoncer ce projet et ses conséquences. Et elles seront d'abord d'ordre environnemental, selon l'ONG française Bloom, spécialisée dans la protection de l'océan.
"C'est un endroit spectaculaire du point de vue de la biodiversité, qui se trouve sur la route de migrations de baleines, de cachalots" et où "il y a aussi des dauphins, des tortues luth, des phoques", a défendu sa présidente Claire Nouvian.
Mais c'est aussi la nature des extractions à entreprendre qui est pointée du doigt. "Ce sont des forages de grande profondeur, à plus de 1000 mètres sous la surface, dans une zone de forts courants: ils savent que ce sont des eaux compliquées avec un risque de marée noire", a aussi assuré Swann Bommier, de chez Bloom, lors d'une conférence de presse à Paris.
"Total est le premier à aller à cette profondeur, s'ils obtiennent ce permis, ce sera un énorme signal pour toute l'industrie" sur la possibilité de lancer des forages dans des eaux encore vierges, a-t-il ajouté.
• Quel impact pour la population locale?
Les associations soulignent enfin les conséquences délétères de ce projet sur le plan humain et économique. "Totalenergies va directement menacer la sécurité alimentaire des populations locales et les moyens de subsistance des pêcheurs artisanaux sud-africains", a encore souligné Claire Nouvian sur Twitter.
"Nous, les pêcheurs artisans de ce pays, craignons que ce moyen de subsistance nous soit enlevé", a dénoncé l'un d'eux, dans une vidéo diffusée pendant la conférence organisée lundi par les deux ONG.
"Nous disons à notre gouvernement": 'arrêtez de promouvoir l'exploration pétrolière et gazière dans nos océans'", a-t-il ajouté.
• Pourquoi Totalénergies est accusé de Greenwashing?
De son côté, Totalenergies défend et revendique la croissance de la production de gaz dans son mix énergétique. "Le gaz en effet émet deux fois moins de CO2 que le charbon", peut-on lire sur le site de la multinationale, qui place ainsi le gaz naturel "au coeur de sa stratégie".
Une position qui vaut au pétrolier d'être régulièrement taxé de "greenwasher".
"Le gaz n'est pas une énergie de transition, il faut dire stop au 'greenwashing'", a ainsi déclaré l'eurodéputée écologiste Karima Delli, venue soutenir les ONG avec l'eurodéputé Raphaël Glucksmann et le député François Ruffin (LFI).
Car si le gaz génère moins d'émissions de CO2 que les autres énergies fossiles, il n'en reste pas moins une source de pollution non négligeable. À tel point que l'Agence internationale de l'énergie (AIE) elle-même s'était prononcée, en 2021, pour l'arrêt immédiat de tout investissements nouveaux dans les énergies fossiles. Fin 2020, le programme pour l'environnement des Nations Unis estimait que la production de gaz devrait baisser de 3% par an d'ici à 2030.
Selon Mediapart, si l'ensemble du gaz présent dans les deux gisements était consommé, il générerait des émissions de CO2 équivalentes "à ce que rejette chaque année dans l’atmosphère un pays comme la France".
Les deux ONG ont lancé lundi une pétition en ligne internationale contre ce projet. Les autorités sud-africaines se prononceront sur l'obtention de cette licence au terme d'une enquête publique prévue jusqu'au 20 janvier.