Nucléaire: les Etats-Unis aussi sont à la traîne pour lancer leurs réacteurs nouvelle génération

La filière nucléaire française n'est pas la seule à avoir avancé au ralenti ces dernières années. Outre-Atlantique, le premier réacteur "de troisième génération" AP1000 s'apprête tout juste à entrer en service commercial sur le site de la centrale géorgienne de Vogtle. L'installation conçue par Westinghouse doit produire plus de 1100 mégawatts et permettre d'alimenter un demi-million de foyers en électricité.
La paire sera complétée par la mise en service d'un second AP1000 avant la fin de l'année. Si le dernier démarrage de réacteur aux Etats-Unis remonte à 2016 avec la fin du chantier de Watts Bar 2, le pays n'avait plus mis en marche de réacteurs nucléaires depuis trois décennies. Il en compte aujourd'hui 93 pour une capacité de production de 96 GW, ce qui en fait le premier parc nucléaire au monde devant la Chine et la France.
Mais le chemin vers cette nouvelle paire de la centrale de Vogtle a été parsemé d'embûches. Au final, le projet a accumulé sept années de retard sur sa livraison tandis que le coût total des installations a doublé par rapport au budget initialement prévu, dépassant les 30 milliards d'euros. "Nous avions commencé à construire sans avoir terminé le design et c'était une erreur", indique aux Echos David Durham, vice-président Energy Systems de Westinghouse.
"Nous avons eu des problèmes liés au fait de bâtir un premier exemplaire, nous avons changé deux fois de constructeur et Westinghouse a fini par devoir se placer sous le Chapitre 11 du régime de protection contre les faillites."
Pas de nouvelle commande d'AP1000 avant quelques années
Et ces difficultés ne sont pas de nature à favoriser d'autres projets similaires outre-Atlantique. D'autant plus que Vogtle 3 et 4 ont au moins eu le mérite d'aboutir, ce qui n'a pas été le cas des deux AP1000 prévus pour la centrale VC Summer en Caroline du Sud et qui ont finalement été abandonnés en 2017. Le dossier avait viré au scandale, l'ancien PDG de l'électricien étant accusé d'avoir trompé ses clients en cachant les difficultés. Le scandale lui avait finalement valu une condamnation à deux ans de prison en 2021 tandis qu'une peine de quinze mois a été prononcée à l'encontre d'un autre dirigeant en mars dernier.
Rien d'étonnant donc à ce qu'aucune autre commande d'AP1000 ne soit dans les tuyaux aux Etats-Unis et la situation ne devrait pas évoluer avant deux à cinq ans selon les perspectives de David Durham: "Les électriciens américains ont tous décidé d'attendre que Vogtle démarre, et je ne m'attends pas à ce qu'ils se décident demain, mais je suis sûr qu'on verra d'autres AP1000 aux Etats-Unis."
L'IRA comme levier d'action
A défaut d'un plan de développement de la filière nucléaire, l'administration Biden entend au moins maintenir son seuil de 20% dans la production d'électricité nationale alors que de nombreux réacteurs ont été contraints de fermer pour raisons économiques au cours des dernières années: la fermeture de la centrale californienne de Diablo Canyon est ainsi retardée.
Connu pour ses généreuses subventions aux entreprises fabriquant des voitures électriques ou leurs batteries, le fameux Inflation Reduction Act prévoit également des aides à la production et des crédits d'impôt pour les nouveaux investissements dans la filière nucléaire. En revanche, ceux-ci semblent pour l'instant orientés vers les petits réacteurs de type SMR qui pourraient se substituer à certaines centrales au charbon. A ce titre, Westinghouse vient d'annoncer une version réduite de l'AP1000, le projet AP300, qui vient s'ajouter au projet de Nuscale (VOYAGR).
"L'investissement global est moins élevé pour un petit réacteur évidemment, et c'est un argument pour des clients, souligne David Durham. Mais quiconque dit que le coût complet de l'énergie produite par un SMR sera moins élevé que celui d'une grande unité se voile la face."
Malgré une levée de 340 millions de dollars en 2021, Nuscale n'anticipe pas une mise en service de son premier module avant fin 2029. Également touché par l'inflation et la hausse des taux d'intérêt, son PDG déplore une hausse de 50% du prix mégawattheure en moins de deux ans pour atteindre près de 90 dollars du mégawattheure: le coût global d'un réacteur de 462 MW s'élèverait donc à 9,3 milliards de dollars. Dans une phase plus avancée, le projet de TerraPower n'aboutira pas avant 2030 après avoir été repoussé d'au moins deux années.