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Comment Totalénergies court après l'électricité d’EDF

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Le PDG de Totalénergies, Patrick Pouyanné, cherche à nouer des contrats d'achat d'électricité avec EDF. Une alliance de circonstance pour Luc Rémont qui cherche à imposer sa nouvelle régulation du marché.

En quelques mois, ils sont passés de la haine à l’amour. Pendant plusieurs années, EDF et Totalénergies ont affiché leur rivalité féroce, tournant parfois à la bataille médiatique. Mais depuis l’arrivée de Luc Rémont comme PDG de l’électricien, fin 2022, les relations avec Patrick Pouyanné frisent l’idylle. Ces derniers mois, les deux patrons ont affiché à plusieurs reprises leur entente, leur intérêt commun sur le marché de l’électricité, voire leur alliance.

Dernière en date la semaine passée aux universités d’été du Medef, les deux PDG se sont renvoyés la politesse. À l'occasion d'un débat autour de l'énergie, le patron de Totalénergies a estimé, "comme Luc", que le monde énergétique traversait une "économie de guerre", ajoutant sans retenue que "la France a une chance, c’est Luc, c’est le mix nucléaire". Le PDG d’EDF avait du mal à cacher sa gêne avant que Patrick Pouyanné ne lâche: "les gens pensent qu’on a fait un accord".

Une allusion à leur "tango" lors du colloque de l’Union française de l’électricité (UFE) au mois de juin. Lors de ce raout des énergéticiens, Luc Rémont et Patrick Pouyanné ont milité, main dans la main, pour une régulation souple, basée sur des contrats de long terme.

"Des fournisseurs d'électricité peuvent parfaitement devenir les partenaires d'EDF", avait déclaré le PDG d’EDF.

"On n’a pas besoin d'un règlement d'État", avait abondé le PDG de Totalénergies qui prônait des "relations commerciales" à établir avec EDF. "Ils étaient tellement sur la même longueur d’onde que tout le monde a pensé qu’ils s’étaient mis d’accord", raille un dirigeant du secteur.

Remplacer "l'Arenh" par ces contrats de long terme

Car d’ici la fin de l’année, le gouvernement doit décider quelles seront les futures règles du marché de l’électricité. Jusque fin 2025, EDF doit vendre 25% de ses électrons à ses concurrents à un prix quatre fois inférieur aux prix actuels sur le marché. Et compte tenu de la forte baisse de sa production, cette part pèse en réalité un tiers de sa "rente nucléaire" depuis l’an passé. Un manque à gagner de 10 milliards d’euros par an.

EDF milite pour remplacer ce cadre strict par des relations commerciales directes avec ses clients, qu’ils soient fournisseurs comme Totalénergies ou Engie, ou grandes entreprises comme la SNCF. Le PDG, Luc Rémont, veut imposer des contrats de long terme sur 5, 10 ou 15 ans à prix fixe afin d’assurer à EDF de la visibilité sur ses revenus. Et Patrick Pouyanné est prêt à être son premier client.

"Totalénergies est prêt à signer des contrats d’achat d’électricité nucléaire de long terme (20 ans voire plus) adossés sur les réacteurs existants et en développement", explique le groupe dans une note transmise à des parlementaires.

Le groupe serait prêt à faire de même si EDF décrochait la construction de six réacteurs EPR en Inde. Là-bas, Totalénergies est allié à l’électricien Adani et cherche à se développer dans les énergies renouvelables. Il a aussi besoin de s’approvisionner en électricité pour produire de l’hydrogène décarboné.

Cette alliance de circonstance fait jaser dans le monde l’énergie et beaucoup parlé chez EDF.

"Nous sommes inquiets du rapprochement entre Total et EDF, alerte Gwénaël Plagne, secrétaire du CSE de l’entreprise publique. Ils prônent l’instauration de contrats de long terme qui participeraient à la dérégulation du marché de l’électricité."

Chez EDF, on assume avoir "la même vision" que Totalénergies pour "garantir des prix bas pour les entreprises à long terme". Mais l’entourage de Luc Rémont réfute en bloc que le PDG d’EDF soit à la solde de Patrick Pouyanné. Au contraire, l’enjeu est bien de remplacer la quantité d’électricité vendue dans le cadre de l’Arenh, à 42 euros/MW par des contrats de long terme à un prix deux fois plus élevé.

Évincer les petits distributeurs du marché

Le gouvernement hésite à instaurer ces contrats de long terme qui laisseraient le champ libre à EDF pour fixer ses prix. Matignon y est pour le moment opposé, préférant une régulation très encadrée des tarifs pour protéger les consommateurs. La semaine passée, la ministre de la Transition énergétique a pourtant apporté son approbation lors des Universités d’été du Medef.

Quoi qu’il en soit, EDF et Totalénergies ont un souhait commun de "nettoyer" le marché des petits fournisseurs alternatifs pour prendre leurs parts de marché. Ce que ne dément aucun des deux groupes. Patrick Pouyanné milite pour que l’État oblige les fournisseurs à produire de l’énergie pour évincer les petits distributeurs qui ne font que casser les prix.

"Si la future régulation valide ces obligations de production, elles vont léser les petits fournisseurs et l’innovation en pâtira", estime Fabien Choné, ancien patron de Direct Energie.

Une telle décision a peu de chance d’être appliquée car elle risquerait de créer un oligopole entre les mains des trois géants EDF, Totalénergies et Engie. "Ces contrats de long terme figeraient les positions, reconnaît une source proche de TotalEnergies. Mais ils permettent de réduire les coûts et donc les prix pour les clients."

Pour les concurrents, l’offensive du PDG de Totalénergies est cousue de fil blanc.

"Pouyanné est tout feu tout flamme et sa danse du ventre pas très fine, ironise un dirigeant du secteur de l’énergie. Il aide EDF dans son bras de fer avec le gouvernement contre des prix bas de son électricité nucléaire."

Certains y voient aussi le souhait de Totalénergies de se positionner pour mettre la main sur des actifs qu’EDF pourrait vendre dans les années à venir. Les noms de Dalkia ou Edison sont souvent cités, même si Luc Rémont a démenti son intention de vendre sa filiale italienne. Voire l’ouverture du capital de la branche d’énergies renouvelables.

Matthieu Pechberty Journaliste BFM Business