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Défense

Retour du service militaire: en France et en Europe, l'idée fait son chemin

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D'après un sondage du centre de réflexion Destin Commun pour Ouest-France, 61% des Français se disent favorables à un rétablissement du service militaire.

L'allocution d'Emmanuel Macron mercredi dernier a de nouveau relancé le débat autour d'une réinstauration du service militaire en France. Lors de sa prise de parole, le chef de l'État a notamment mis l'accent sur une hausse des dépenses militaires de la France et plus globalement des pays européens face à la menace russe et pour combler le désengagement américain.

Et ce contexte international tendu semble déjà produire des effets dans l'inconscient collectif puisque plus de 60% des Français se disent favorables à un rétablissement du service militaire, selon un sondage du centre de réflexion Destin Commun pour Ouest-France.

Lors de ses traditionnels voeux aux armées fin janvier, le président de la République avait déjà fait part de son souhait de "mobiliser" davantage de jeunes volontaires "en renfort des armées" en cas de besoin, face à une "accélération des périls" depuis la gyerre en Ukraine, semblant ainsi acter la fin du service national universel (SNU).

Sans pour autant "rétablir le service national obligatoire", Emmanuel Macron avait demandé au gouvernement et à l'état-major des armées des propositions d'ici mai pour "permettre à une jeunesse volontaire d'apprendre avec les armées et d'en renforcer les rangs".

Mais l'Hexagone, qui vise 210.000 militaires d'active et 80.000 réservistes à l'horizon 2030, n'est pas le seul pays européen où le débat autour du service militaire refait surface.

Augmenter les effectifs de la Bundeswehr outre-Rhin

Le débat sur une réintroduction du service militaire obligatoire revient en force en Allemagne à un moment où les Européens discutent d'une défense commune face au revirement en cours de l'administration Trump au profit de la Russie. Le futur chancelier Friedrich Merz, dont le camp conservateur CDU/CSU a remporté l'élection législative du 23 février, insiste sur la nécessité de se préparer "au pire scénario", soit un abandon de l'allié américain, en créant une défense autonome.

Or "dans la situation actuelle de menace", la suspension du service militaire en Allemagne, effective depuis 2011, "ne convient plus", a estimé mardi Florian Hahn, un député CSU, allié bavarois de la CDU, auprès du journal populaire Bild. "Les premiers appelés devront franchir les portes des casernes en 2025", a lancé le porte-parole pour les questions de défense du parti. Dans une interview au magazine Stern, le vétéran de la politique allemande Joschka Fischer, ancien ministre des Affaires étrangères (1998-2005) va dans le même sens. 

"Le service militaire obligatoire doit être réintroduit. Pour les deux sexes. Sans cette mesure, nous ne progresserons pas dans la protection de l'Europe", a dit cette figure des Verts, ancien défenseur de l'abolition de la conscription.

Les conservateurs, qui mènent actuellement des consultations avec le parti-social démocrate (SPD) en vue de former une coalition gouvernementale, sont de longue date en faveur d'une réintroduction d'un service obligatoire, incluant aussi les jeunes femmes, avec possibilité d'accomplir un service d'intérêt général.

"Nous avons besoin d'un effectif beaucoup plus important pour la Bundeswehr -je ne m'engage pas sur des chiffres- mais nous ne pourrons pas nous en sortir avec les effectifs actuels", a aussi déclaré Friedrich Merz lundi. Actuellement, la Bundeswehr compte 181.174 personnels en uniforme, selon les derniers chiffres officiels.

Modèle suédois

Sous le gouvernement sortant, le ministre de la Défense social-démocrate allemand Boris Pistorius -qui a de bonnes chances de figurer dans le prochain exécutif- avait élaboré un projet visant à inciter les jeunes à effectuer leur service militaire, en instaurant un recensement obligatoire des recrues potentielles, s'inspirant du modèle suédois. 

"J'ai de la sympathie pour les propositions que Boris Pistorius a faites. J'en ai également discuté avec le Premier ministre suédois et j'ai regardé de plus près ce qui me semble être une bonne voie", avait précisé Friedrich Merz lundi.

Après avoir supprimé la conscription en 2010, Stockholm l'avait finalement rétablie huit ans plus tard via un service militaire sélectif de 8.000 recrues annuelles afin de palier des difficultés de recrutement.

La perspective d'un pur retour de la conscription obligatoire est jugée quant à elle compliquée. Se pose notamment la question des moyens d'accueil et de formation des conscrits alors que la Bundeswehr est en pleine remise à niveau après des années de sous-investissements par les gouvernements successifs. Le président de l'association de la Bundeswehr, qui représente des soldats en activité ou retraités, civils employés par l'armée ou réservistes, n'en juge pas moins essentiel que le service militaire redevienne une forme d'obligation.

"Sans une sorte de nouvelle obligation de servir, nous ne parviendrons pas à recruter et à fidéliser le personnel dont nous avons besoin", a déclaré André Wüstner interrogé par le journal conservateur Die Welt.

"Bien sûr, il ne s'agira pas d'enrôler toute une classe d'âge dès le début, mais cela commencera progressivement", a-t-il estimé. Pour parer le manque de personnel, il préconise aussi des modèles de temps de travail plus attractifs et une meilleure rémunération.

La Belgique et le Royaume-Uni y songent

Si l'Allemagne n'a suspendu la conscription que très récemment, en 2011, la Belgique et le Royaume-Uni l'ont fait il y a bien plus longtemps, en 1992 pour les Belges et dès 1960 outre-Manche. Mais dans ces pays aussi, l'idée d'un rétablissement refait surface, notamment sur la base du volontariat en Belgique.

Lors de la campagne électorale pour les élections législatives l'été dernier, le Premier ministre britannique Rishi Sunak avait déclaré sur son compte X que les jeunes de 18 ans pourraient choisir "entre un placement à temps plein de 12 mois dans les forces armées" ou "un week-end par mois pendant un an de volontariat au sein de leur communauté".

De son côté, la Lituanie n'a pas attendu la récente escalade des tensions internationales pour rétablir le service militaire obligatoire. À peine sept ans après l'avoir abandonné, le pays balte l'a réinstauré en 2015, dans le sillage de l'annexion russe de la Crimée et du début de la guerre dans le Donbass. Initialement provisoire, la mesure a finalement été pérénnisée et 3.500 hommes de 19 à 26 ans effectuent chaque année leur service pendant neuf mois.

La Lituanie a été récemment imitée par son voisin letton qui a réagi à l'invasion de l'Ukraine en rétablissant son service militaire obligatoire dès 2023, plus de quinze ans après son abandon.

Timothée Talbi avec AFP