L'Ukraine a détruit des bombardiers nucléaires russes avec des drones à 500 euros: le pays veut maintenant se défendre avec des appareils encore moins chers

Un drone dans le ciel de Kiev en Ukraine (illustration) - SERGEI SUPINSKY / AFP
La guerre des drones bat son plein en Ukraine. Dernière illustration en date: les frappes opérées loin des frontières ukrainiennes ayant touché des avions stratégiques russes sur leurs bases aériennes. La Russie a répliqué par une attaque massive de drones.
Les évolutions en matière de technologies liées aux drones sont très rapides, ce qui nécessite une adaptation permanente et réactive de la part des constructeurs – mais aussi des opérateurs.
"Les drones sont très vite frappés d'obsolescence, il faut généralement quelques semaines pour qu'un des belligérants identifie la parade à l'innovation", a expliqué le général Vincent Breton, directeur du Centre interarmées de concepts, de doctrines et d'expérimentations, lors d'un point presse du ministère des Armées.
Les innovations sont scrutées de part et d'autre et provoquent une "course" technologique et le développement de contre-mesures toujours plus sophistiquées.
"L'Ukraine est toujours à la pointe de l'innovation, ajoute le général Breton. Le rapport coût-efficacité est absolument remarquable."
Le général Breton liste trois types de drones utilisés dans le conflit: les drones moyenne altitude et moyenne ou longue endurance, les "one way attack", semblables à des missiles de croisières à bas coût, ainsi que des mini-drones et des micro-drones, qui comprennent également les drones kamikazes, à l'image de ceux employés dans l'opération "toile d'araignée" menée par l'Ukraine.
Les attaques de drones russes mettent à rude épreuve les systèmes de défense aérienne ukrainiens. Mais la réciproque est aussi vraie. Selon le groupe de réflexion britannique Royal United Services Institute, les attaques de drones ukrainiens représentaient en début d'année 2025 entre 60 et 70% des dommages causés aux équipements russes depuis le début de la guerre.
Des très coûteux missiles contre les drones
La semaine dernière par exemple, Kiev a lancé des drones depuis des camions pour frapper des bases russes situées à des milliers de kilomètres endommageant des dizaines d'avions de la flotte russe dont des bombardiers nucléaires. Ces drones dits FPV sont pilotés avec un casque de réalité virtuelle et coûtent moins de 500 euros.
Attaquer avec des drones, ce n'est pas nouveau. Se défendre avec est un enjeu plus corsé. Le problème pour les États c'est que les défenses anti-aériennes sont en général très chères. Il peut s'agir de missiles qui coûtent parfois jusqu'à 1 million d'euros pièce. C'est le cas par exemple des modèles antiaériens Aster 15 utilisés par la frégate française multi-missions (Fremm) Languedoc.
Selon Bloomberg, l'Ukraine travaille actuellement au développement et à la production en masse d'une nouvelle génération de drones destinés à abattre les Geran 2 russes, une production sous licence du fameux modèle triangulaire iranien Shahed.
Ces drones sont utilisés par la Russie pour réaliser des frappes qui visent à saturer la défense aérienne ukrainienne. Leur coût est estimé entre 20 et 50.000 dollars, selon le Centrer for strategic and international studies (CSIS), qui précise que la Russie "tolère" ainsi un fort taux d'attrition – souvent autour de 75% de drones détruits.
Des personnes interrogées par Bloomberg indiquent que des intercepteurs en cours de développement pourrait coûter 300 dollars pièce. L'agence de presse cite également le conseiller au ministère des industries stratégiques ukrainien, qui évalue à 5.000 dollars les "chasseurs de Shahed" produits par trois constructeurs locaux.
Un industriel letton, Origin Robotics, serait également en train de développer un système pour contrer les Shahed, des essais seraient d'ores et déjà prévus cet été.
Mais ces appareils et les projets en cours ne sont pas encore en mesure de remplacer totalement les autres systèmes de défense aérienne, indique un analyste de Bloomberg Intelligence. Ils ne sont d'ailleurs pas efficaces contre des attaques de missiles – qui sont plutôt contrés par des systèmes type Patriot américains.
L'IA au service du combat… et des Big Tech
Le magazine américain Time avait titré en février 2024 "The first AI war", mettant en exergue l'utilisation accrue de l'intelligence artificielle sur le champ de bataille. Dans ce conflit, l'avantage semble aller à l'Ukraine.
Une étude publiée en 2024 par l'Institut français des relations internationales (IFRI) indique que "contre toute attente, c'est l'armée ukrainienne qui s'est démarquée par son utilisation d'armes dopées par l'IA". Un constat partagé par les Centers for European policy network, qui affirmaient déjà en 2023 que "Kiev utilise l'IA plus efficacement que Moscou".
L'IA est intégrée aux équipements militaires pour une diversité de missions, listent les deux autrices de l'IFRI Amélie Férey et Laure de Roucy-Rochegonde: observation, reconnaissance, identification, classification, ciblage, guerre électronique, logistique, ravitaillement, cybersécurité, santé, simulation et formation.
Dans le cas des drones, l'utilisation de l'IA est particulièrement utile pour échapper aux systèmes de détection et de brouillage. Les algorithmes embarqués augmentent la résilience des systèmes, notamment en phase terminale, détaille-t-on à BFM Business: pré-programmés et guidés par l'intelligence artificielle, les drones sont ainsi plus de chance d'atteindre leur cible.
Selon l'étude de l'IFRI, l'utilisation massive par l'Ukraine de l'IA pour ses équipements militaires a été appuyée par les poids lourds du secteur: Palantir, Microsoft, Amazon, Google, Starlink ont noué des partenariats avec les autorités ukrainiennes. Une aubaine pour ces entreprises, qui peuvent à la fois tester leurs systèmes dans des conditions réelles de guerre et les présenter comme "combat proven" à de potentiels acheteurs, mais aussi engranger des données pour "innover promptement et améliorer leurs modèles en temps réel".
Des enseignements pour la France
Cette dronisation du champ de bataille est attentivement suivie par la France et représente "une nouvelle donne pour les armées françaises", selon le général Breton, qui précise que le ministère s'inspire de ce qui se passe en Ukraine pour développer de nouvelles doctrines d'emploi.
"Les armées doivent utiliser davantage des drones dans le quotidien de leurs opérations", énonce le directeur du CICDE.
L'objectif est de pouvoir proposer à la fois une production de masse à bas coûts, tout en y intégrant des technologies de pointe. A ce titre, le "laboratoire ukrainien" représente un cas d'école: un écosystème constitué de plus de 300 startups qui regroupe des militaires et des civils, produisant des systèmes considérés "comme du consommable, au même titre que des munitions", précise le général Breton. La robotisation du champ de bataille se poursuit à vitesse grand V.