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Les banques ont-elles vraiment les moyens d’affronter leur transformation numérique?

JP Morgan annonce un budget de dépenses technologiques de 12 milliards de dollars en 2022

JP Morgan annonce un budget de dépenses technologiques de 12 milliards de dollars en 2022 - Andrew Burton - Getty images - AFP

[AVIS D'EXPERT] Les investissements dans le numérique annoncés par les grandes banques américaines semblent encore très insuffisants. Décryptage avec notre expert Guillaume Almeras, fondateur du site de veille et de conseils Score Advisor.

JP Morgan Chase a récemment annoncé que son budget de dépenses technologiques augmenterait de plus de 8% pour atteindre 12 milliards de dollars en 2022. Un tel montant paraît bien entendu colossal et il a laissé la plupart des observateurs sur la réserve, pour ne pas dire sceptiques. Que va bien pouvoir faire JP Morgan Chase d’une telle somme? D’autres grands établissements, comme Citigroup, ayant également annoncé d’importantes hausses de leurs dépenses technologiques l’année dernière, certains devinent là une sorte de "course aux armements" lancée entre banques, dont JP Morgan Chase ne pouvait manquer de prendre la tête.

Enfin, parce que le médiatique patron du groupe, Jamie Dimon, a annoncé que de tels investissements auraient inévitablement un impact sur la hauteur des résultats en 2022, la Bourse n’a pas très bien réagi à l’annonce, qu’elle juge floue, voire trop défensive.

Etrangement, personne à notre connaissance n’a fait remarquer que les 12 milliards de dollars prévus paraissent en l’occurrence dramatiquement insuffisants.

Car de quoi et surtout de qui parle-t-on? De la première banque mondiale, dont la capitalisation boursière est d'environ 448 milliards de dollars. Un groupe financiers qui compte plus de 90 millions de clients et plus de 250.000 employés ; un produit net bancaire de 119 milliards de dollars en 2020 et des frais généraux ayant dépassé les 66 milliards de dollars la même année. Dans un tel tableau, 12 milliards n’ont rien d’extravagant, d’autant que la moitié seulement sera consacrée à des investissements, le reste étant absorbé par les coûts de fonctionnement des systèmes d’information existants. Six petits milliards donc pour… tout faire.

Dans l’année, en effet, de 30% à 50% des applications et des bases de données devront migrer dans l’infonuagique (le "cloud"). L’intelligence artificielle devra être massivement déployée et la cybersécurité drastiquement renforcée. Le "Product Operating System" devra être revu de fond en comble et la configuration technologique du groupe être ainsi suffisamment mise à niveau pour attirer et retenir les meilleurs talents (c’est le groupe qui le dit).

Des fintechs qui lèvent des fonds à tour de bras

Que désigne donc ce "Product Operating System" sinon les systèmes informatiques centraux, c’est-à-dire les principaux outils au cœur des activités du groupe? Autant dire qu’il s’agit, en 2022, de commencer à construire une nouvelle banque.

Mais alors à quoi ont donc servi les sommes considérables – en 2019, le budget technologique atteignait déjà 11 milliards de dollars - que le groupe a englouti dans sa transformation numérique ces dernières années? Pourquoi cela devrait-il marcher cette fois-ci? Sachant que par rapport aux enjeux, 6 milliards de dollars d’investissement paraissent tout à fait insuffisants, en eux-mêmes et compte tenu des sommes que sont désormais à même de lever les plus importants nouveaux acteurs de la fintech. De nouveaux acteurs affranchis des pesanteurs organisationnelles qui pèsent sur un groupe de la taille de JP Morgan Chase, qui disposent d’une véritable avance en termes de services et d’agilité et qui n’affrontent pas les mêmes difficultés à attirer et à retenir les talents.

En 2018-2019, a-t-on pu souligner, JP Morgan Chase a davantage dépensé en technologie que tout ce qu’ont pu lever de fonds l’ensemble des fintechs européennes. Mais les choses ont changé et la première banque mondiale, qui tente en même temps de se développer en Europe dans la banque de détail, doit complètement revoir ses systèmes pour rester dans la course, c’est-à-dire pour proposer un niveau de service équivalent à celui des champions de la tech. Tandis que pointent de nouveaux défis – la finance intégrée et décentralisée – dont il n’est même pas fait mention.

A tout cela, JP Morgan Chase semble ne pouvoir consacrer que quelques petits milliards sans trop dégrader ses résultats. Or l’on parle de la première banque mondiale! Qu’en est-il des autres?

Par Guillaume Almeras, fondateur du site de veille et de conseils Score Advisor