Le rôle des autorités réglementaires est-il vraiment d’empêcher les banques de faire faillite?

Le bâtiment de la Fed à Washington le 22 octobre 2021 - Daniel SLIM © 2019 AFP
Alors qu’aux Etats-Unis, le Sénat et le Financial Services Committee de la Chambre des Représentants ont ouvert des audiences sur les récentes faillites bancaires – celles de la Silicon Valley Bank (SVB) et de Signature Bank bien sûr mais le sauvetage du Crédit Suisse entre également en ligne de mire – des débats surgissent, plus encore que sur l’adéquation de la réglementation pour éviter de telles faillites, sur le rôle exact des autorités réglementaires.
Evidemment, quand de tels événements se produisent, on tend à exiger de nouvelles règles et des garanties renforcées pour qu’ils ne puissent pas se reproduire. En l’occurrence, les assouplissements réglementaires dont purent bénéficier certaines banques de taille moyenne aux Etats-Unis sont pointés du doigt. Mais l’on s’interroge également sur la supervision effectivement exercée en l’occurrence par la Federal Reserve Bank.
A cet égard, Michael Barr, Vice-President de la Fed, chargé de la supervision bancaire, a d’ores et déjà rapporté les éléments suivants. Il reconnaît que les problèmes qui ont précipité la faillite de la Silicon Valley Bank étaient apparus bien avant. Il pointe une gestion des risques et des contrôles internes inappropriés au sein d’un établissement dépassé par sa propre croissance rapide (la taille de ses actifs a triplé entre 2019 et 2022).
De nombreux signaux d'alarme
Or, de cela, la Fed était tout à fait consciente. Dès la fin 2021, six constatations prudentielles avaient rappelé la SVB à ses obligations en matière de gestion de son risque de liquidité. En mai 2022, la Fed signalait une surveillance inefficace du conseil d’administration et des faiblesses dans l’exercice de l’audit interne. Une nouvelle alerte fut émise à l’été 2022 par la Fed qui, en octobre, a rencontré la direction de la SVB pour lui exprimer son inquiétude concernant le profil de son risque de taux. Ce qui a donné lieu à une constatation prudentielle en novembre. Les mesures prises par la SVB lui paraissant insuffisantes, la Fed a enfin saisi le conseil d’administration de la SVB mi-février 2023. Tout cela sera détaillé dans un rapport qui doit être publié le 1er mai prochain.
En somme, la Fed savait tout et prévoyait exactement ce qu’il s’est passé. "Mais alors pourquoi a-t-elle laissé faire?", est-on inévitablement conduit à se demander. Le Congrès ne pourra contourner cette question et devra déterminer si les autorités réglementaires devraient, face aux établissements bancaires leur paraissant présenter un profil de risque alarmant, intervenir plus directement. A quoi Michael Barr répond comme par avance: "ce n’est pas le travail des superviseurs de résoudre les problèmes qu’ils identifient ; c’est le travail de la direction et du conseil d’administration". En d’autres termes, il n’entre pas dans la mission des autorités bancaires d’empêcher les banques de faire faillite.
Cette profession de foi est fort intéressante. Telle qu’énoncée, elle paraît assez inacceptable. Comment les autorités réglementaires peuvent-elles laisser se produire des faillites dont l’impact sur l’économie globale peut être désastreux? Toutefois, si le superviseur se substitue à la direction des établissements, peut-on encore envisager une réelle supervision?
Les superviseurs sont devenus acteurs
La SVB fournit de ce point de vue un très bon cas d’école car, en l’occurrence, la très rapide et brutale fuite des dépôts qui a précipité sa mise en faillite semble avoir été directement orchestrée par les principaux déposants pour obliger la Fed à intervenir, à garantir les dépôts dans leur intégralité, pour éviter que le "bank run" ne s’étende en chaine à d’autres établissements. Autant dire que, depuis la crise de 2008, les banques et les banques centrales, comme prêteurs en dernier ressort, forment un tout. Les superviseurs sont devenus acteurs: s’ils n’interviennent pas en amont, ils devront organiser un sauvetage en aval. Et c’est ainsi que dans un contexte de renchérissement du loyer de l’argent, la Fed redoute qu’une fragilisation des banques moyennes – y compris sous l’angle des exigences réglementaires si elles devaient être fortement renforcées suite aux faillites – ne provoque un véritable "credit crunch" à l’échelle de l’économie américaine. Aux Etats-Unis, en effet, les banques non systémiques détiennent près de la moitié des actifs bancaires et jouent un rôle majeur dans la distribution du crédit – jusqu’à 80% dans l’immobilier commercial.
Tout cela, que renforce encore la forte implication directionnelle de la Banque nationale suisse dans la reprise du Crédit Suisse par UBS, montre qu’il serait vain d’imaginer que les autorités réglementaires puissent se contenter d’un rôle de supervision et d’alerte. Mais cette réalité, si elle doit être pleinement prise en compte, modifie complètement le sens et la nature de la réglementation bancaire. En fait, c’est le rôle même des banques qui est mis en question. C’est particulièrement ce qu’oblige à considérer une garantie totale des dépôts, y compris des banques moyennes, par la Fed, actuellement débattue outre-Atlantique.