Cryptomonnaies: Pourquoi les banques s’intéressent de très près aux stablecoins

Le président américain va signer un décret pour lancer le chantier officiel en vue d'un futur dollar numérique. - Jack Guez - AFP
Il aura suffi qu’à l’occasion des Jeux olympiques la Chine lance son yuan numérique pour raviver le sujet des monnaies numériques de banque centrale (MNBC). D’autant plus que, dans la foulée, l’Inde a décidé de mettre en test sa roupie numérique dès avril. Des sénateurs américains ont donc saisi Joe Biden de l’urgence, pour les Etats-Unis, de ne pas se laisser distancer sur ce terrain. Le président américain va ainsi signer un décret ce mercredi pour lancer le chantier officiel en vue d'un futur dollar numérique.
Côté occidental, le dossier des MNBC avance lentement. Ce n’est pas que les banques centrales soient avares de déclarations à ce propos. Selon la Banque des règlements internationaux, 86% d’entre elles en poursuivaient le projet en 2021, contre 64% en 2017. Mais, au total, seulement 14% ont lancé des projets pilotes depuis cette dernière date. Et les pays les plus avancés en ce domaine, comme la Suède ou l’Estonie, n’en finissent pas de prolonger leurs phases de test. Tandis que la Bank of England ne promet rien avant 2025.
Sur BFM Business, il y a un peu moins d’un an, nous signalions que ces atermoiements trouvaient une double explication: les MNBC obligent à envisager, s’il s’agit de monter un seul système de comptes et de règlements centralisé, des développements technologiques dont l’efficience n’est pas garantie et dont l’utilité parait encore très limitée.
Une application déjà fonctionnelle en Chine
Par ailleurs, nous soulignions qu’avec les MNBC le rôle même des banques était mis en question. La solution chinoise ravive cette question puisque la Banque populaire de Chine propose aux particuliers une véritable appli bancaire sur mobile, désormais disponible sur l’Apple Store par exemple. Son usage est encore territorialement limité mais, d’ores et déjà, 140 millions de Chinois disposent d’un compte en e-CNY. L’appli ne se substitue pas aux banques – au contraire, pour l’utiliser, il faut y lier son compte bancaire – mais elle le pourrait parfaitement.
Le gouverneur Gang Yi a voulu rassurer quant à l’utilisation des données personnelles qui seront associées aux comptes en monnaies numériques, directement supervisés par la Banque centrale chinoise. Mais beaucoup d’observateurs en doutent! C’est qu’on associe aux MNBC deux orientations qui en sont en réalité indépendantes d’elles: la suppression du cash et la surveillance des individus à travers la centralisation et la supervision de leurs comptes courants, avec la possibilité de leur faire subir des pénalités financières en cas de comportements jugés non conformes. Toutefois, il n'y a nullement besoin des MNBC pour supprimer le cash, pas davantage qu’il n’est nécessaire de disposer de MNBC pour saisir les comptes courants des individus – les mesures de rétorsion financière prises contre les camionneurs manifestants et ceux qui les soutiennent à Ottawa viennent de le démontrer.
Il ne reste finalement, en faveur des MNBC, que de généraliser avec elles les avantages de la finance décentralisée et ceux, en particulier, des registres distribués de type blockchain: sécurité (cryptographie), continuité et instantanéité des règlements, association avec des "contrats intelligents" automatisés et suppression de l’obligation de recourir à des moyens de paiement et même à des intermédiaires spécialisés tels que les banques.
Des stablecoins réservées aux banques?
Seulement, est-ce vraiment aux banques centrales de développer de tels systèmes de règlement? N’est-ce pas plutôt, depuis toujours, le rôle propre des établissements financiers, sous la supervision des banques centrales? La réponse à cette question varie assez considérablement d’un pays à l’autre. Mais cette question trouve aujourd’hui une réponse particulière avec l’intérêt que les banques portent aux stablecoins.
Ce sont-là des crypto-monnaies, comparables au bitcoin ou à l’ether, à ceci près (ce qui n’est pas rien!) qu’elles n’en ont généralement pas le même mode de gestion décentralisé ni la volatilité, puisqu’elles sont de manière stable indexées au cours d’une monnaie officielle (à ce stade, la plupart du temps au dollar). Ce sont donc des monnaies propres à un système de règlement de type registre distribué dont la parité et la convertibilité sont garanties. Exactement ce que pourraient être finalement les MNBC mais que n’importe qui peut proposer. La monnaie de Meta/Facebook, la Libra, devenue "Diem", était un stablecoin. Mais elle a finalement été abandonnée.
C’est qu’il y a un problème: comment être sûr que ceux qui gèrent de telles monnaies ont les moyens financiers d’en garantir la convertibilité? Il faudrait leur imposer un système de réserves et de limites. Comme s’ils étaient des banques. De là à réserver l’exclusivité des stablecoins aux banques, il n’y a qu’un pas facile à franchir si on lit les orientations d’un dossier que la Fed vient de publier à ce propos. On comprend ainsi que le sujet des stablecoins puisse actuellement susciter la création de consortiums bancaires outre-Atlantique, comme l’USDF. Mais cette orientation, certains établissements l’ont anticipée très tôt, comme Goldman Sachs, à l’origine de la création de Circle dès 2013, une plateforme de règlements qui devrait être bientôt en bourse et dont le jeton, l’USDC (lancé en 2018), est la cinquième crypto-monnaie par le volume en circulation et le deuxième stablecoin le plus échangé après le tether.
Voilà quelle issue pourrait finalement trouver les monnaies numériques de banque centrale. Une solution proche des actuels systèmes de règlement interbancaires mais avec une technologie nouvelle. On ne rencontre pas encore ces orientations en Europe mais cela viendra sans doute assez vite.