Élections agricoles: l'hégémonie de la FNSEA est-elle menacée?

À minuit, les votes seront clos: les agriculteurs s'apprêtent à siffler la fin de leurs élections professionnelles ce vendredi soir. Dans les états-majors des syndicats agricoles, nul doute que le résultat sera soigneusement scruté. Les mobilisations successives depuis l'hiver 2024 ont donné une résonance inédite à ce scrutin, organisé tous les six ans pour renouveler les membres des chambres d'agriculture. Lorsqu'elles seront dépouillées, les urnes pourraient bien rebattre les cartes entre les principales organisations représentatives – du moins, certaines l'espèrent.
L'alliance majoritaire entre la FNSEA et les Jeunes agriculteurs (JA) contrôle aujourd'hui la quasi-totalité des chambres départementales et régionales. En dépit d'un contexte défavorable, un effondrement général semble improbable à l'issue du scrutin: la robuste coalition FNSEA-JA n'a pas grand-chose à craindre dans ses bastions du Bassin parisien et du Nord-Est, sans oublier une bonne partie des départements où elle affichait une nette avance aux précédentes élections. Mais ses adversaires se montrent déterminés à grignoter, par endroits, son leadership.
Dordogne, Charente, Ariège...
Revigorée par les manifestations des derniers mois, où elle s'est illustrée par ses coups d'éclat médiatiques, la Coordination rurale compte lui ravir une quinzaine de chambres. La bouillonnante organisation ne dirige que trois chambres départementales à l'heure actuelle (Vienne, Haute-Vienne et Lot-et-Garonne). Ses militants, très mobilisés, tentent d'arracher quelques victoires dans le Sud-Ouest où elle est bien implantée, notamment en Dordogne, dans le Gers ou encore en Charente. Quelques départements pourraient également vaciller en Bretagne ou en Normandie.
En embuscade entre les deux autres syndicats, dont elle a régulièrement déploré le "combat de coq", la Confédération paysanne espère, elle aussi, conquérir quelques chambres, s'ajoutant à la seule chambre de Mayotte aujourd'hui dans ses mains. En Loire-Atlantique, qu'elle avait remporté une première fois en 2019 avant que l'élection ne soit annulée, la bataille est ouverte pour le troisième syndicat agricole. De même en Ariège, où la présence d'une liste dissidente de la FNSEA locale et l'absence d'une liste de la Coordination rurale pourrait jouer en sa faveur.
Des listes indépendantes
Au-delà de la rivalité entre les grands syndicats, des listes indépendantes jouent des coudes pour se faire entendre dans certains territoires – une victoire de l'une d'entre elles n'est pas impossible, à l'exemple de la Moselle ou de la Martinique. En Haute-Garonne, l'irruption inattendue de la liste "apolitique" et "asyndicale" portée par les "Ultras de l'A64", le collectif d'agriculteurs qui avait organisé le blocage médiatisé d'une partie de l'autoroute Toulouse-Bayonne en janvier-février 2024, a perturbé la compétition attendue entre les trois grandes forces syndicales.
Mais briser l'hégémonie de la coalition FNSEA-JA n'est pas chose facile. Les intérêts électoraux se cristallisent sur le premier collège, celui des exploitants agricoles, qui représente la moitié des sièges dans chaque chambre d'agriculture, soit 18 sièges sur 33. La liste arrivée en tête y remporte la moitié des sièges à la faveur d'une prime majoritaire, et les sièges restants sont répartis à la représentation proportionnelle. La citadelle FNSEA-JA, dont la liste unique dépasse régulièrement 50% des voix, est souvent imprenable pour les syndicats minoritaires, en ordre dispersé.
Sans compter les missions assurées par les chambres d'agriculture, ces élections permettent de jauger le rapport de force entre les syndicats. Les résultats déterminent aussi la répartition des financements publics – à hauteur de 14,5 millions d'euros en 2024 – dont 75% dépendent du nombre de voix obtenues et 25% dépendant du nombre de sièges.
En 2019, l'alliance FNSEA-JA avait réuni environ 55% des voix au niveau national pour le premier collège, contre 21,5% pour la Coordination rurale et 20% pour la Confédération paysanne. Le Mouvement de défense des exploitants familiaux (Modef) avait recueilli un peu moins de 2% des voix. La participation s'était élevée à 46,22% pour ce premier collège.