BlueWalker 3: pourquoi ce satellite géant américain est-il si critiqué?

Si elle offre des progrès immenses en matière de connectivité Internet, la nouvelle génération de satellites BlueWalker 3 de l'entreprise américaine AST SpaceMobile est aussi à l'origine d'une des plus importantes pollutions lumineuses de l'espace. C'est le constat préoccupant dressé par une étude publiée dans la revue Nature le 23 septembre et relayé par le média The Verge.
Selon ces travaux, le mastodonte capable d'offrir une connexion Internet rapide à un smartphone depuis n'importe quel point du globe, fait partie des objets actuels générant le plus de lumière dans l'espace. Or, cela pourrait gêner le travail des astronomes en entravant l'observation du ciel et créer un précédent préoccupant.
Une technologie prometteuse
Le méga-satellite d'AST SpaceMobile, une entreprise spatiale spécialisée dans l'accès à internet, avait été envoyée en zone d'orbite terrestre basse (OTB) en septembre 2022 par la Falcon 9 de SpaceX. L'objectif est de tester une technologie permettant de fournir un accès direct à internet en 4G et 5G à des téléphones mobiles -sans aucun équipement au sol- et ainsi venir concurrencer les satellites Starlink de SpaceX.
Et le nombre de contrats signés par AST SpaceMobile avec des opérateurs de téléphonie mobile, comme Vodafone, ou T-Mobile, témoignent de l'appétence actuelle pour ce type de technologies. Orange a également choisi l'entreprise texane et BlueWalker 3 pour améliorer l'accès internet de ses clients sur certains de ses marchés africains. En juin dernier, la société indiquait avoir réussi son pari, en parvenant à transmettre un signal 4G LTE depuis l'espace vers un smartphone.
Aussi brillant que les étoiles les plus lumineuses
Malgré ces résultats prometteurs, depuis sa mise en orbite, le très innovant engin 1500 kg qui embarque 64 m2 d'antennes réfléchissantes, tourne autour de la Terre en générant une source de lumière problématique. L'observation du satellite sur une période de 130 jours depuis six pays différents a en effet montré qu'il était aussi brillant que Procyon et Achernar, qui comptent parmi les étoiles les plus lumineuses. Un constat qui varie toutefois en fonction de la position du BlueWalker 3 par rapport au soleil.
Le satellite provoque aussi des trainées lumineuses sur les images d'observations astronomiques.
Un risque soulevé, dès l'année dernière, par plusieurs scientifiques, à l'image de l'astrophysicien à l'observatoire de la Côtes-d'Azur, Eric Lagadec, sur X (anciennement Twitter).
"On va lancer un satellite qui risque, par moments, d'être plus brillant que toutes les étoiles et planètes dans le ciel", prévenait-il le 10 septembre 2022.
Des fréquences radio problématiques
Au-delà de la pollution lumineuse qu'elle provoque, la mise en orbite de satellites comme BlueWalker 3 pourrait aussi affecter la radioastronomie. Pour fonctionner, la technologie d'AST SpaceMobile utilise en effet un signal radio très puissant qui peut biaiser les mesures des appareils scientifiques.
"Ces émetteurs en orbite, qui ne sont pas soumis aux mêmes restrictions de zone de silence radio que les réseaux cellulaires au sol, ont le potentiel d'avoir un impact sérieux sur la recherche en radioastronomie ainsi que sur les études de géodésie et les expériences de physique spatiale", précisait l'Union astronomique internationale (IAU) dans un communiqué publié en novembre 2022.
Une "pause" nécessaire
Pour le moment, aucune réglementation n'encadre la mise en orbite de la nouvelle génération de satellites concernant la pollution lumineuse ou les perturbations en termes de radioastronomie qu'ils pourraient entraîner.
Mais l'envoi du BlueWalker 3 devrait pourtant être l'occasion de sérieusement se pencher sur cette question, selon Piero Benvenuti, à la tête du centre de l'IAU consacré à la préservation du ciel "sombre et tranquille contre les interférences des constellations de satellites".
"BlueWalker 3 représente un tournant majeur dans la problématique de la constellation des satellites et il devrait nous donner toutes les raisons de faire une pause", estimait l'astrophysicien dans le communiqué de l'IAU publié l'année dernière.
D'autant plus que le phénomène n'est pas près de s'arrêter au BlueWalker 3. Dès 2024, AST SpaceMobile prévoit de lancer une série de satellites, de plus grande envergure encore, baptisés BlueBird.
"Après le succès de BW3 (BlueWalker 3, ndlr), nous développons 5 nouveaux satellites dans le Texas pour un lancement prévu au premier trimestre", se réjouissait le PDG de la société américaine sur X, le 28 juillet dernier.