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Pourquoi ChatGPT n'a pas encore supprimé votre job (et ne le fera sans doute jamais)

Malgré l'explosion des services d'intelligence artificielle générative comme ChatGPT, les taux d'emplois dans les pays de l'OCDE sont à des plus hauts historiques.

Malgré l'explosion des services d'intelligence artificielle générative comme ChatGPT, les taux d'emplois dans les pays de l'OCDE sont à des plus hauts historiques. - Pexels

Alors que les outils d'IA sont de plus en plus utilisés dans le monde professionnel, aucune donnée macroéconomique ne montre de destructions d'emplois ni de pression à la baisse sur les salaires. L'apocalypse IA annoncée a-t-elle été très exagérée?

C'était un avant-goût de "l'IA-pocalypse" qui allait tout emporter sur son passage. En février 2024, le suédois Klarna spécialiste du paiement fractionné annonçait sa décision de supprimer 1.800 postes de conseillers clients et marketing pour les remplacer par des chatbots alimentés par la surpuissante intelligence artificielle de ChatGPT.

Sebastian Siemiatkowski, le PDG de la fintech, estimait que l'IA était devenue tellement puissante qu’elle pouvait abattre le travail de 700 agents humains, avec un taux de résolution de moins de 2 minutes par demande contre 11 minutes avec les humains.

Certains (dont les investisseurs) ont vu dans ses déclarations la fin des spécialistes de la relation client externalisée, comme le français Teleperformance. L'action avait alors chuté de plus de 14%.

Quinze mois plus tard, machine arrière toute. Le société veut remettre des salariés en chair et en os pour conseiller ses clients. La qualité défaillante des conseils, l'impression de parler à une machine rigide ont déçu les utilisateurs de la plateforme de crédit.

"Il y aura toujours un humain si vous le souhaitez", a récemment déclaré Sebastian Siemiatkowski.

"Nous pensons que cela montre une reconnaissance tacite du fait que les clients souhaitent toujours un soutien humain efficace et émotionnellement intelligent", écrivaient les analystes de Royal Bank of Canada, en réaction à ces déclarations.

L'entreprise suédoise n'est pas un cas isolé. La compagnie Air Canada a elle aussi rétropédalé après avoir été condamnée à rembourser un client qui s'était vu promettre par un chatbot une fausse réduction à la suite du décès d'un proche. Du côté du transporteur DPD, on se mord les doigts depuis qu'un agent conversationnel a insulté un client avant de qualifier sa propre société de "pire entreprise de livraison au monde qu'il ne recommanderait à personne".

On peut encore citer McDonald's qui a mis (au moins momentanément) le holà sur le déploiement de son assistant vocal qui servait à passer commande aux drives de ses restaurants. Les commandes étaient bourrées d'erreurs, l'assistant ne comprenant pas les accents et les mots d'argot.

"Pourquoi autant d'offres d'emplois de traducteurs?"

Des retours d'expérience nombreux qui prennent le contre-pied des prévisions très pessimistes sur les centaines de millions d'emplois que l'IA devait rendre caducs un peu partout dans le monde.

Le premier métier touché devait être celui de traducteur, selon les calculs de deux chercheurs de l'Université d'Oxford. Or les données de l'emploi aux États-Unis montrent qu'en 2024 le nombre d'employés dans ce secteur d'activité a progressé de 7%.

"Si l'IA est si forte pourquoi y a-t-il autant d'offres d'emplois de traducteurs?", s'étonnait ainsi il y a un an déjà un article de NPR aux États-Unis, qui a recensé un nombre record d'annonces de recrutements.

Peut-être que les effets de l'IA sur l'emploi concernent en réalité surtout les jeunes diplômés et ce sur un nombre varié de secteur?

C'est ce qu'a voulu vérifier The Economist en allant scruter les taux de chômage des futurs cols blancs. Effectivement, le taux de chômage des jeunes diplômés américains est plutôt en hausse aux États-Unis. Il est même désormais 2,2 points supérieur à la moyenne, toutes tranches d'âges confondues.

Sauf que, relève le magazine, cette hausse a débuté en 2009, bien avant l'arrivée et l'adption de l'IA dans les entreprises. Et surtout, elle reste très contenue puisque le taux de chômage des jeunes diplômés américains du supérieur demeure à un niveau très faible de 6%.

Même "déception" pour le taux d'emploi des "cols blancs" dans leur ensemble. Les catégories d'emplois de managers dans les services de vente, de marketing, dans l'informatique et plus globalement dans les métiers de bureau n'ont pas diminué dans l'emploi total aux États-Unis selon les chiffres du Bureau of Labour Statistics. Ils représentent même près de 63% de l'emploi total en 2025, soit leur niveau le plus élevé jamais enregistré (hors période Covid qui avait vu le chômage des métiers peu qualifiés exploser sur une courte période).

La même tendance est à l'oeuvre dans l'ensemble des pays de l'OCDE dont ceux de la zone euro. Les taux d'emploi (part des personnes en âge de travailler qui ont un emploi) sont au plus haut depuis le début des séries statistiques, soit 70,3%. Et les salaires sont en hausse eux aussi, de 3,1% en 2025 en zone euro selon la Banque centrale européenne (BCE). Autant de signes qui contredisent un remplacement des salariés par des machines intelligentes.

"L'IA ne vous prendra pas votre travail mais..."

Comment expliquer que l'IA, malgré les annonces fracassantes, n'exerce pas de pression à la baisse sur l'emploi dans les pays développés?

D'abord parce que les entreprises utilisent dans les faits très peu l'IA. Moins de 10% d'entre elles auraient adopté ce type de technologie, selon l'entreprise GPTZero.

"Souvent, les employés n'adoptent pas les nouvelles technologies d'IA et n'en tirent pas profit, mais nous ne savons pas vraiment pourquoi", explique Natalia Vuori, professeure adjointe à l'Université finlandaise Aalto qui a mené une étude sur l'adoption de ces technologies en entreprises.

Son équipe a conduit une enquête pendant plus d'un an sur une société de conseil de 600 employés qui avait massivement adopté des outils d'intelligence artificielle afin d'attribuer des missions aux employés les plus qualifiés. La machine devait analyser les activités et les communications des salariés pour déterminer une cartographie des compétences. Sauf que les employés ont progressivement adapté leur comportement afin de fournir à l'IA des informations non pas sur leurs compétences réelles mais sur celles susceptibles de leur bénéficier sur le futur. Des informations non pertinentes sur leurs réelles capacités.

L'IA est ainsi devenue de plus en plus imprécise dans ses résultats, note l'étude, alimentant un cercle vicieux où les utilisateurs ont commencé à perdre confiance en ses capacités.

L'autre explication avancée est que les entreprises qui adoptent vraiment ces technologies ne licencient pas de salariés. Les quelques exemples sont très médiatisés mais dans les faits ces cas demeurent très rares. Quand les entreprises ne font pas carrément machine arrière, comme le suédois Klarna.

Les technologies d'IA sont le plus souvent des outils supplémentaires fournis aux collaborateurs afin d'améliorer leur rapidité d'exécution et in fine leur productivité. Autrement dit, l'IA est aujourd'hui un copilote (comme le très juste nom donné par Microsoft à son assistant) qui améliore les performances de ceux qui savent en tirer profit.

"L'IA ne vous prendra pas votre travail, résume Scott Galloway, professeur américain de marketing dans son podcast Pivot. Mais c'est celui qui sait l'utiliser qui finira peut-être par vous le prendre."
Frédéric Bianchi
https://twitter.com/FredericBianchi Frédéric Bianchi Journaliste BFM Éco