"On fait du ménage, de la maintenance": les 202 salariés des Papeteries de Condat ont peur que leur usine ne passe pas l'année

Usine de papier (image d'illustration). - JEFF PACHOUD / AFP
"On ne veut pas se laisser mourir sans rien faire". Les salariés des Papeteries de Condat, longtemps plus gros employeur privé de Dordogne, redoutent la fermeture définitive de leur usine en fin d'année et la mise sur le carreau de ses 202 salariés.
Mardi à la mairie du Lardin-Saint-Lazare, commune de 2.000 habitants, délégués syndicaux et élus locaux ont alerté sur la situation financière de l'entreprise, qui crache encore d'épais panaches de fumées blanches au bord de la Vézère.
"Le carnet de commandes tiendra jusqu'au 17 septembre. Après, c'est le grand saut dans le vide", estime Philippe Delord, délégué CGT de l'usine.
Les salariés reprochent à leur propriétaire, le groupe Lecta, qui compte sept usines en Espagne, en France et en Italie, "de les laisser dans le flou".
"On était fiers du papier que l'on produisait"
"La dernière machine ne tourne que 20 jours par mois. Le reste du temps, on fait du ménage, des travaux de maintenance", relate Benoît, 35 ans, salarié polyvalent sur la "ligne 8", récemment convertie pour produire du papier glassine (ou papier crystal) pour la production d'étiquettes.
"On reçoit la pâte à papier au compte-gouttes. Apparemment il n'y aurait pas assez de commandes. On n'a jamais connu ça", abonde Rémi Brachet, 36 ans d'usine au compteur.
A ses belles heures, l'usine créée en 1907 pour fabriquer des produits tannants pour l'industrie du cuir, avant de se réorienter en 1923 vers la production de pâte à papier, a compté jusqu'à 1.200 salariés.
"On était fiers du papier que l'on produisait, qui s'exportait aux Etats-Unis, au Canada, en Russie", se remémore le retraité Lionel Leroueil. "Aujourd'hui c'est le personnel qui part, ça me fend le coeur", ajoute l'ancien délégué syndical venu soutenir les salariés.
Remboursement au point mort
En 2023, la ligne de production 4, qui fabriquait du papier couché pour les grandes maisons d'édition, des magazines illustrés ou des affiches publicitaires, est stoppée. L'unique ligne restante fait l'objet d'un investissement de 82 millions d'euros, dont 63 de Lecta et 19 accordés sous la forme d'un prêt à taux zéro par la Nouvelle-Aquitaine, non remboursé depuis avril par le groupe selon la région.
"Lecta a versé à l'heure actuelle 9,5 millions d'euros. Il nous reste la même somme à récupérer", assure le conseiller régional Benjamin Delrieux. "On a envoyé des lettres de mises en demeure" pour "récupérer cet argent".
Lecta a également investi 56 millions d'euros dans une chaudière biomasse pour réduire les coûts énergétiques, avec une aide de 14 millions de l'Agence de la transition écologique (Ademe).
"Un désert social" à 40 km de Périgueux et Brive
Délégués syndicaux et élus vont écrire aux actionnaires de Lecta, pour leur demander de vendre, afin de faciliter la recherche d'un repreneur et éviter une nouvelle casse sociale. En 2023, 174 des quelque 400 salariés de l'époque avaient été licenciés.
"A peine 45 ont retrouvé un emploi stable. Les autres enchaînent CDD et chômage dans une région où Périgueux et Brive sont à plus de 40 km", prévient encore M. Delord qui redoute "un désert social".
L'intersyndicale, qui "ne veut pas se laisser mourir sans rien faire", envisage aussi de créer une coopérative (Scic). Elle a rendez-vous le 11 septembre à Bercy "au moment même où le calendrier politique est des plus incertains, alors que le temps presse", ajoute-t-il.
"Une situation financière extrêmement critique"
Car les comptes de Lecta sont dans le rouge, selon le cabinet d'expertise comptable Secafi, mandaté par le CSE. "Ils atteignent un endettement de 550 millions d'euros", explique Florian Fauchon de Secafi. "Le cash aujourd'hui dégagé est inférieur au coût de la dette, ce qui démontre une situation financière extrêmement critique. Et que le groupe sera dans l'incapacité de pouvoir honorer le remboursement de sa dette en 2028."
Contactée par l'AFP, l'entreprise, qui compte 2.700 salariés, dont la moitié en Espagne, n'a pas répondu dans l'immédiat.
"En ne conservant qu'une seule ligne de production, c'était la chronique d'une mort annoncée. Des mauvais choix ont certainement été faits en investissant dans un marché du papier glassine qui est aujourd'hui saturé. Ce n'est plus possible de continuer avec Lecta", s'insurge également la maire du Lardin-Saint-Lazare, Francine Bourra.