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ÉDITO. Laisser entrer 800 millions de colis par an en France, dont plus de 90% viennent de Chine, ce n’est pas du commerce

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La Commission européenne a proposé mardi d’imposer des frais de 2 euros sur chaque colis de "faible valeur" entrant en Europe, dont l’immense majorité provient de Chine. L’Europe doit-elle se mettre au protectionnisme ? 

La Commission européenne a franchi un pas important. Elle propose l’instauration d’un frais de 2 euros sur chaque petit colis en provenance d’Asie. Dans le collimateur : les géants du commerce en ligne que sont Shein et Temu. Derrière cette mesure technique se joue une question cruciale : l’Europe doit-elle, à son tour, s’armer face à la désinvolture commerciale venue de Chine ?

Quand l’Amérique resserre les mailles de son filet douanier

Outre-Atlantique, la réponse ne s’est pas fait attendre. Washington a brutalement refermé la porte à ces importations en cascade. Là où les colis de moins de 800 dollars échappaient jusque-là à toute taxe, l’administration Biden a instauré un double verrou: des droits de douane atteignant 54 % et une taxe forfaitaire de 100 dollars.

Le résultat a été spectaculaire : en trois mois, les exportations chinoises vers les États-Unis ont plongé de 65 %, entraînant une chute des ventes pour Shein et Temu. Dans le même temps, les marques américaines reprenaient des couleurs.

Mais pendant que l’Amérique muscle ses frontières commerciales, les ventes de fast fashion chinoise progressent de 28 % en Europe. Autrement dit, l’Union européenne devient l’arrière-boutique d’un système dérégulé que les États-Unis ne veulent plus tolérer. Cela pose une évidence : il ne s’agit pas d’interdire, mais de remettre de l’ordre.

Pas une guerre commerciale, mais un cadre équitable

Faut-il bannir Shein et Temu? Non. Mais faut-il continuer à leur offrir un passe-droit fiscal, social et environnemental? Certainement pas.

Le problème n’est pas leur origine, mais le contournement des règles qu’ils exploitent allègrement : optimisation fiscale, standards de production au rabais, dumping écologique… Ce n’est pas du libéralisme. C’est du parasitisme.

L’Edito de Raphaël Legendre : Fast-fashion, on ne joue pas avec le commerce - 21/05
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Walter Eucken, père de l’ordolibéralisme allemand, l’avait compris dès les années 1950 : "Le bon fonctionnement d’une économie de marché suppose un ordre économique clair, garanti par l’État." Sans règles, le marché n’est plus un moteur de prospérité, mais une jungle sans foi ni loi.

Laisser entrer 800 millions de colis par an en France, dont plus de 90% proviennent directement de Chine, ce n’est pas du commerce, c’est une délocalisation déguisée, livrée à domicile aux frais du contribuable.

Libéralisme, oui ; naïveté, non

Faut-il pour autant fermer nos frontières aux produits asiatiques ? Ou interdire aux enseignes comme Décathlon, Kiabi ou Zara de s’approvisionner en Chine ?

Non plus. Ces groupes investissent sur le sol français, créent de l’emploi, paient des impôts, participent à l’économie réelle. Le libre-échange reste une chance, à condition qu’il s’inscrive dans un cadre juste.

Wilhelm Röpke, autre penseur de l’ordolibéralisme, rappelait que le marché doit être « encastré dans des institutions sociales et juridiques solides ». Shein et Temu, aujourd’hui, fonctionnent en périphérie de ces institutions. Ils ne jouent pas le jeu. Pire : ils faussent la partie.

Il ne s’agit pas de protéger les faibles contre les forts, mais de garantir que la concurrence repose sur des bases loyales. Le libre-échange ne peut être confondu avec un suicide économique. Il exige des contreparties. Il exige de la réciprocité.

Le commerce, oui. La naïveté, non.

Raphaël Legendre