Brexit: la stratégie risquée de Boris Johnson

Boris Johnson - Rui Vieira / POOL / AP / AFP
À 79 jours du Brexit, le dialogue de sourds entre Londres et Bruxelles semble avoir atteint son paroxysme. Si Boris Johnson a tenté peu après sa prise de fonction de renégocier l’accord de retrait avec les dirigeants européens, il s’est rapidement heurté à un refus catégorique. Et depuis ces quelques maigres tentatives, les discussions entre les deux parties sont quasi inexistantes.
Alors, le gouvernement de "BoJo" accélère les préparatifs pour tenir la promesse du Premier ministre de livrer le Brexit "coûte que coûte" le 31 octobre. Quand bien même le divorce avec l’UE se ferait sans accord. Un scénario redouté par les milieux économiques, mais que le successeur de Theresa May, conforme à sa devise "Do or die" (Faire ou mourir), n’a jamais exclu.
D’autant que la menace du no deal est au centre de la stratégie de Boris Johnson. En montrant qu’il est prêt à aller jusqu’à une rupture sèche avec Bruxelles, il espère un revirement de l’Union européenne dont plusieurs membres, à commencer par l’Allemagne et les Pays-Bas, ont déjà fait savoir qu’ils étaient prêts à se battre jusqu’au bout pour éviter ce scénario.
Boris Johnson mise sur la stratégie de la peur
Pour asseoir sa crédibilité, le gouvernement britannique a multiplié les annonces. Fin juillet, il a affirmé avoir débloqué plus d’un milliard de livres supplémentaire pour préparer le no deal. Une somme qui servira notamment à financer une grande campagne d’information avec des brochures envoyées à 27 millions de ménages outre-Manche. Selon le Sunday Times, les dirigeants britanniques travailleraient également sur une opération baptisée "Kingfisher" visant à soutenir les entreprises britanniques les plus exposées et leur éviter la faillite en cas de sortie brutale.
Dernièrement, le Financial Times a révélé que les diplomates britanniques allaient réduire le nombre de réunions auxquelles ils participent, toujours dans le cadre de l’Union européenne. Là-encore, pour mettre la pression sur Bruxelles et être pris au sérieux. "Nous quitterons l’UE quelles que soient les circonstances le 31 octobre. Il est donc logique de revoir notre présence aux réunions de l’UE pour nous assurer que nous utilisons au mieux le temps du gouvernement", a déclaré un porte-parole du gouvernement britannique.
Mais pour l’heure, les dirigeants européens demeurent visiblement insensibles aux manœuvres stratégiques de Boris Johnson et aucun signe ne laisse penser qu’ils adouciront leur position. La partie de poker menteur reste ouverte.
Les Britanniques stockent en masse
En spectateurs consternés d’une tragi-comédie qui n’a que trop duré, et face au risque grandissant de voir leur pays quitter brutalement l'Union européenne, les Britanniques ont décidé de prendre leurs précautions. Selon une enquête menée par la société financière Premium Credit et dévoilée par le Guardian, nos voisins d’outre-Manche auraient dépensé 4 milliards de livres (4,3 milliards d’euros) pour stocker des denrées depuis le dernier report du Brexit initialement prévu le 31 mars.
Dans le détail, les trois-quarts (74%) de ceux qui reconnaissent avoir fait des réserves affirment qu’il s’agit de nourriture, 50% de médicaments et 46% de boissons. Craignant que les chaînes d'approvisionnement ne s'enrayent en cas de "hard Brexit", un Britannique sur cinq aurait dépensé 380 livres (408 euros) pour constituer ce stock et jusqu'à 1000 livres (1080 euros) pour 800.000 d'entre eux.
Le Parlement, premier obstacle pour Boris Johnson?
Malgré les inquiétudes, Boris Johnson peut se targuer d’avoir le soutien de la majorité des Britanniques. Probablement fatigués des atermoiement autour du Brexit, 54% d’entre eux disent vouloir que le Premier ministre fasse sortir le Royaume-Uni de l'UE "par tous les moyens, dont la suspension du Parlement si elle est nécessaire pour empêcher de le stopper", selon un sondage ComRes publié lundi dans le Telegraph.
De fait, dans l’hypothèse où Boris Jonhson filerait droit vers une sortie de l’UE sans accord, il pourrait se heurter au Parlement qui a déjà rejeté ce scénario par le passé. Et il y a fort à parier que nombre de députés, de la majorité comme de l’opposition, tentent de voter des lois pour l’empêcher, forçant l’exécutif à reporter le Brexit, voire à y renoncer.
En cas d’échec, le Parti travailliste pourrait déposer une motion de censure pour renverser le gouvernement. Si elle est approuvée, le Premier ministre devra convoquer des élections, à moins qu’il ne parvienne à rallier une majorité de soutiens sous 14 jours. Durant cette période, un autre membre de son Parti conservateur peut s'y essayer, de même que les travaillistes. Mais les divisions sont telles au Parlement qu'il paraît peu probable que l'opposition et les conservateurs rebelles puissent s'accorder sur un nom.
La Reine en dernier recours?
Surtout, même si un Premier ministre alternatif était désigné, Boris Johnson devrait d'abord démissionner. Mais il peut refuser et se tourner vers les urnes, selon Catherine Haddon du centre de réflexion Institute for Government interrogée par l’AFP. Or, Boris Johnson reste maître du calendrier et peut choisir la date du scrutin, en respectant certains délais légaux. Il serait donc libre de le fixer après le 31 octobre, de façon à livrer le Brexit comme il l’avait promis.
Autant d'éléments qui laissent craindre une nouvelle crise politique et institutionnelle outre-Manche. En attendant, la rentrée parlementaire prévue le 3 septembre promet d’être agitée à Londres. En dernier recours, certains élus n'hésitent plus à demander à Sa Majesté la Reine Elizabeth II d’intervenir pour forcer Boris Johnson à démissionner sur le champ si une motion de censure contre son gouvernement était approuvée.