TOUT COMPRENDRE - Pourquoi certains médecins veulent-ils se déconventionner?

La menace gronde. Les médecins libéraux généralistes ne sont pas parvenus à faire plier l'Assurance maladie lors des négociations au sujet du tarif de la consultation de base qu'ils souhaitent porter à 50 euros au lieu de 25 actuellement.
Le refus catégorique de l'administration qui propose une revalorisation à 26,50 euros a provoqué la colère de nombreux praticiens.
Et cette colère commence à prendre d'importantes proportions. Nombre d'entre eux, notamment représentés par le syndicat UFMLS (Union française pour une médecine libre), agitent depuis quelques semaines la menace d'un déconventionnement collectif pour faire plier le gouvernement. Quelles seraient les conséquences d'un passage aux actes?
• Le conventionnement/déconventionnement, c'est quoi?
Il s'agit de la "convention médicale" qui lie les médecins à l'Assurance maladie. C'est une sorte de contrat qui couvre notamment les processus administratifs, fixe les tarifs de référence qui servent de base aux remboursements (comme le prix de la consultation pour un généraliste à 25 euros sur tout le territoire, ce qu'on appelle le Secteur I), et les procédures de remboursement.
Le médecin qui fait le choix du déconventionnement rompt ce contrat. Il est alors libre de fixer ses tarifs, n'a plus de comptes à rendre à l'Assurance maladie et passe donc en Secteur III. Outre une revalorisation de la consultation, les partisans du déconventionnement mettent en avant un gain de temps (moins de tâches administratives) au bénéfice des soins et une meilleure attractivité pour les jeunes médecins.
Aujourd'hui, selon les chiffres de l'Assurance maladie à fin 2021 cités par Le Parisien, on ne compte que 572 généralistes déconventionnés contre 111.381 médecins généralistes et spécialistes conventionnés. La plupart sont des spécialistes.
• Pourquoi cette colère?
Outre la question du tarif, c'est la convention dans sa globalité qui est dénoncée.
"Ce système est en bout de vie. Les médecins sont épuisés et on nous demande d'en faire toujours plus alors que nous sommes déjà à 55 heures par semaine. Ce n'est pas possible, comment attirer les jeunes médecins avec ça?" explique à BFM Business, Jérôme Marty, médecin généraliste et Secrétaire général de l'UFMLS.
"On a l'impression que cela ne les intéresse pas de développer la médecine libérale, elles sont où les conditions d'attractivité? On veut quoi? Généraliser des centres de santé gérés par les fonds de pension? On n'en veut pas. Il faut se réveiller" s'interroge-t-il.
• Une menace sérieuse?
La menace d'un déconventionnement massif est régulièrement brandie par les praticiens lors des négociations avec l'Assurance maladie. Mais les passages à l'acte sont rares car au final, le risque de perdre une partie importante de sa clientèle, effrayée par une consultation peu remboursée à 50 euros, est important.
Mais dans un contexte d'inflation galopante et de grogne de plus en plus profonde, de nombreux professionnels se disent prêts à passer le Rubicon. Collectivement.
L'UFMLS entend bien accélérer et concrétiser ce mouvement. Afin de cristalliser cette grogne, elle a organisé début mars à Paris des "assises du déconventionnement" où 700 médecins étaient présents en présentiel et un millier en ligne. Objectif, les inciter à se déconventionner collectivement afin d'accentuer le rapport de force avec l'Assurance maladie.
"C’est avec ferveur et enthousiasme, et en conscience, que des centaines d’entre eux ont concrétisé le lancement du déconventionnement collectif par le dépôt de leurs lettres d’intentions de déconventionnement sous constat de l’huissier de justice qui va garder celles-ci tout au long de cette opération" souligne le syndicat dans un communiqué.
Sur son site, on peut également trouver un kit de courrier d'intention pour les professionnels qui veulent se déconventionner. Et un compteur indiquant le nombre de médecins qui ont déposé ce type de lettre.
"544 ont été effectivement déposées et on en a plus de 400 en attente" détaille Jérôme Marty. "Quand on sera 15.000 à 20.000, on ira voir le gouvernement et ça ne dépendra plus de nous. Si la convention est maintenue, on passe à l'action. Certains veulent sortir dès maintenant mais l'idée est de faire poids sur une période de 14 à 18 mois. Mais c'est une vraie lame de fond. L'État doit prendre ça en compte mais il regarde ailleurs".
• Quelles seraient les conséquences pour le patient?
Pour le patient, la différence est très importante puisque le remboursement de sa consultation par la Sécurité sociale sera minime: 0,61 euro contre 70% du tarif conventionné. Le reliquat pourra être pris en charge par sa mutuelle en fonction des garanties de son contrat.
Le choix sera donc difficile. Accepter de payer (bien plus) ou changer de médecin traitant, ce qui peut s'avérer compliqué dans un contexte de pénurie de médecins de proximité dans certaines zones du territoire. Cela pénaliserait donc directement les patients les plus pauvres.
Pour le ministre de la Santé, François Brun, le déconventionnement "pénaliserait encore plus les Français en créant une médecine à deux vitesses" a-t-il estimé sur France Inter le 27 février dernier.
Thomas Fatôme, le directeur général de la Cnam (Caisse nationale de l'assurance maladie) ne goûte pas non plus cette initiative. "C'est tout à fait irresponsable d'appeler à ce type de comportement, nous, on se considère comme un partenaire des médecins, on veut construire avec les médecins libéraux un meilleur accès aux soins", déclare-t-il le 27 février sur France 5.
Une attaque balayée par l'UFMLS. "Au contraire, on veut pouvoir changer le mode de remboursement du Secteur III, voire créer un nouveau secteur, et donc mieux rembourser les patients" nous explique Jérôme Marty.
Comment? "Le tarif d'autorité (les 0,61 euro, NDLR) tient sur une jurisprudence dépassée. Nous allons donc déposer une Question prioritaire de constitutionnalité et la Sécu va perdre. En attendant cette décision, on met tout en place pour aller au bout, on accumule les lettres d'intention, on met en place un nouveau dispositif de remboursement et on sera prêt dans 14 à 18 mois quand la décision tombera" explique le Secrétaire général.
L'objectif du syndicat est ainsi de s'appuyer sur une décision favorable du Conseil constitutionnel et mettre en œuvre un nouveau cadre de prise en charge afin de sortir de la problématique du remboursement minimal actuellement en vigueur.
• Tous les médecins sont-ils sur la même longueur d'onde?
Pas vraiment. Si le principal syndicat professionnel, MG France est également vent debout contre les propositions de convention proposées par l'Assurance maladie, il rejette l'idée de déconventionnement collectif.
"C'est une mesure stupide", assène Jean-Christophe Nogrette, Secrétaire général. Le résultat serait "un abandon des patients les plus pauvres" explique-t-il à BFM Business. Attaquer le conventionnement, c'est attaquer "le pilier de la santé en France et c'est mettre le privé à la place de la solidarité. C'est un vrai danger".
Le médecin se dit inquiet de la tournure des événements. "L'exaspération est telle que tout peut arriver. Des assises organisées à ce sujet, on n'avait jamais vu ça, donc il ne serait pas surprenant que cela débouche sur des décisions de déconventionnement, ce qui suscite une inquiétude pour les patients les plus modestes".
"Si 3000 ou 4000 médecins se déconventionnent, on change d'échelle, ça sera significatif" poursuit-il.
D'un autre côté, Jean-Christophe Nogrette souligne que sortir de la convention "n'est pas simple. Les médecins vont devoir faire du marketing, trouver un point d'équilibre entre rentabilité et tarifs abordable pour le patient", ce qui n'est pas dans leur ADN, estime-t-il.
Mais pour Jérôme Marty de l'UFMLS, entre l'exaspération des praticiens et la problématique d'attractivité, tout est réuni pour que les intentions se transforment en actes.