Mercosur : l'accord provoque des crispations jusqu’au sein de la majorité

Édouard Philippe - Alain JOCARD / AFP
"Cet accord, à ce stade, est bon compte tenu du fait que toutes les demandes que nous avions formulées ont été intégralement prises en compte". En marge du G20 au Japon, Emmanuel Macron a salué la conclusion d’un vaste traité de libre-échange entre l’Union européenne et les pays du Mercosur (Brésil, Argentine, Uruguay et Paraguay) qui va faciliter l’entrée de produits sud-américains, et notamment des denrées alimentaires, sur le Vieux continent.
Mais en France, peu nombreux sont ceux qui partagent l’optimisme du chef de l’État. Après les agriculteurs, les associations environnementales et l’opposition, voilà qu’un mouvement de fronde surgit au sein même de la majorité pour protester contre cet accord de libre-échange.
"Naïveté libre-échangiste"
Agriculteur de profession, le député LaREM Jean-Baptiste Moreau a été le premier a jeté publiquement un pavé dans la mare pour dénoncer le texte conclu entre l’UE et le Mercosur après vingt ans de négociations. "Le président de la République a dit que c’est un bon accord, je ne suis pas d’accord avec lui, et je vais essayer de le convaincre", a-t-il lancé sur RTL
Selon lui, l’application de cet accord impliquera la "soumission à l’Organisation Mondiale du Commerce" qui risque de "déstabiliser l’économie européenne". "Il faut trouver un chemin entre cette naïveté libre-échangiste et le protectionnisme idiot à la Trump qui ne favorise absolument pas l’économie, mais ce Mercosur penche davantage dans la naïveté libre-échangiste", a-t-il expliqué.
"Qu’est-ce qu’on envoie comme message aux électeurs des dernières élections européennes notamment ceux qui ont voté écolo?" s’interroge encore dans Le Monde l’élu de la Creuse, déplorant un "passage en force" de la Commission européenne et un manque de "cohérence environnementale" alors que "le Brésil est dans une situation agronomique catastrophique, avec des sols rendus stériles par l’usage massif de produits phytosanitaires en tout genre".
Un traité "incompatible avec la transition écologique"
Jean-Baptiste Moreau n’est pas le seul à défendre cette position sur les bancs de l’Assemblée parmi ses collègues macronistes. "On augmente l’intensité des échanges commerciaux mais on ne compense pas au niveau environnemental", s'agace auprès de L’Opinion un autre député LaREM, membre de la commission du développement durable. Même tonalité du côté des anciens membres de la majorité Nicolas Hulot et le député Matthieu Orphelin qui parlent respectivement d’un accord "complètement antinomique avec nos ambitions climatiques" et "incompatible avec la transition écologique".
L’eurodéputé LaREM Pascal Canfin, fraîchement élu au Parlement européen, n’a pas non plus hésité à faire part de ses doutes. "Aujourd’hui je peux vous dire que rien n’est acquis en matière de ratification par le Parlement européen. En ce qui concerne les 23 eurodéputés de la liste Renaissance, nous allons faire l’analyse et notre ratification n’est absolument pas acquise", a-t-il prévenu sur RTL lundi.
Également élu sur la liste Renaissance soutenue par Emmanuel Macron, l’eurodéputé Pascal Durand estime que "l’accord de libre-échange […] détruira l’environnement, la forêt amazonienne, et notre agriculture traditionnelle". Son collègue Jérémy Decerle ne cache pas non plus ses réserves, jugeant que "les consommateurs et les agriculteurs méritaient plus de respect".
Un accord qui tombe mal
Ces réticences, voire franches oppositions, affichées en public risquent de mettre l’exécutif en mauvaise posture. "Il y a une fébrilité importante du groupe LaREM sur le Mercosur car nous n’avons eu aucun débat sur le sujet ni aucun échange", souligne un parlementaire aux Échos.
Face à la fronde, l’exécutif s’inquiète d’être lâché par plusieurs élus macronistes au moment du vote le 17 juillet. D’autant que l’annonce d’un accord avec le Mercosur arrive quasiment au même moment que la ratification par le Parlement du Ceta, traité commercial avec le Canada, dans les prochains jours. Ce qui n’arrange en rien les affaires du gouvernement.
"Cette concomitance tombe mal et risque de raviver une polémique avec le Ceta; un texte qui avait fini par être accepté. Cela crée en outre un momentum autour des traités de libre-échange", regrette un conseiller dans Le Figaro. "Les oppositions jouent sur le mélange des deux traités, ce qui crée le doute chez certains d’entre nous", reconnaît de son côté Jean-Baptiste Moreau.
Les ministres multiplient les interventions pour défendre l'accord
Pour calmer le jeu, l’exécutif a tenté de réagir. D’abord par l’intermédiaire d’Emmanuel Macron lui-même. S’il a rappelé que l’accord conclu avec le Mercosur était bon à l’issue du Conseil européen, il a rappelé sa vigilance et sa volonté d’aller vers "une ouverture sans naïveté, exigeante sur le plan de l’équilibre de nos filières économiques et agricoles, exigeante sur le plan climatique".
De leur côté, les ministres ont été envoyés en première ligne. Sur notre antenne, la porte-parole du gouvernement Sybeth Ndiaye a indiqué que "pour l’instant, on n’est pas prêts à ratifier" l’accord de libre-échange avec le Mercosur. Le ministre de la Transition écologique, François de Rugy, a quant à lui promis sur Europe 1 de "décortiquer l’accord".
Même le ministre de l’Éducation nationale Jean-Michel Blanquer et le secrétaire d’État au Numérique Cédric O sont intervenus au bureau exécutif de la République en marche pour rappeler que le président brésilien Jair Bolsonaro s’était engagé à respecter les règles environnementales et à mettre en œuvre l’accord de Paris dans le cadre du traité de libre-échange avec l’Union européenne. Pas sûr que cela suffise à calmer la fronde.