Budget: la sincérité de Bercy mise en doute

Les parlementaires réclament des comptes à Bercy. Annoncée en avril, la commission d'enquête "visant à établir les raisons de la très forte croissance de la dette française" va débuter ses auditions la semaine prochaine avant de rendre son rapport en novembre, a annoncé son président, le député LR des Hauts-de Seine Philippe Juvin.
"En sept ans, sous la présidence Macron, la dette française aura progressé de 50%. En 40 ans, on a constitué 2.000 milliards de dette, en l'espace de sept ans le président de la République aura un bilan de 1.000 milliards de dettes supplémentaires", a pointé au cours d'une conférence de presse le président du groupe LR Olivier Marleix, soulignant que la dette n'a pas attendu le Covid pour "exploser".
En parallèle, la commission des Finances du Sénat mène une mission d'information sur la dégradation des finances publiques. De son côté, la commission des Finances de l'Assemblée nationale va lancer les auditions de son "printemps de l'évaluation" sur les finances publiques afin de comprendre comment le déficit public a pu autant déraper en 2023 et essayer de savoir si la trajectoire du gouvernement pour 2024 et 2025 est vraiment crédible.
"Situation un peu hors norme"
Pour rappel, le déficit public de la France a atteint 5,5% du PIB en 2023 selon l'Insee, soit 15,8 milliards d'euros de plus que prévu. Ce qui avait conduit le gouvernement à annoncer en février 10 milliards d'euros d'économies sur le budget de l'État en 2024. Un nouvel effort de dix milliards d'euros a été ajouté début avril.
Jusqu'au dernier moment, l'exécutif avait maintenu sa prévision de déficit à 4,9% pour 2023, faisant fi d'une note confidentielle du Trésor estimant dès le mois de décembre que celle-ci était bien top optimiste, comme le révélait L'Opinion. Le gouvernement aurait-il dès lors manqué de sincérité? "Le ministre aurait pu, techniquement, annoncer que le déficit ne serait pas de 4,9 % mais de 5,2 %, ou 5,3 %. Il ne l’a pas fait, je pense qu’il a procrastiné", a indiqué devant les sénateurs François Ecalle, ancien magistrat de la Cour des comptes.
"On voit que 2023 se caractérise par une erreur de déficit qui est assez importante", a confirmé Mathieu Plane, directeur adjoint du département Analyse et prévision à l'OFCE. "La seule année où il y a eu autant d'erreur sur l'année en cours c'est 2008. Or, 2008 il y a eu une crise et une erreur de prévision sur la croissance, ce qui n'est pas le cas pour 2023: l'erreur de prévision est vraiment sur le déficit et pas sur la croissance", a ajouté l'économiste.
Il tient pour autant à relativiser en rappelant que si le déficit s'est creusé l'an passé c'est avant tout en raison de recettes fiscales moins importantes que prévu après "trois années exceptionnelles en termes de rentrées fiscales au regard de la croissance". En outre, "on est dans une situation un peu hors norme. On a des chocs assez inédits (...). L'épisode qu'on a vécu est difficile à comprendre". Un constat partagé par François Ecalle qui estime que "le chiffre aberrant c'était le déficit de 2022" et non celui de 2023: "En 2022, on a atteint un niveau record de prélèvements obligatoires, (...) après avoir fait 50 milliards d'euros de baisses d'impôts, ce n'était pas normal", a précisé le spécialiste des finances publiques, estimant que 2023 est finalement un "retour à la normale".
L'UE plus que sceptique sur les prévisions 2024 et 2025
Les prévisions du gouvernement pour les deux prochaines années sont-elles plus crédibles? Pas vraiment à en croire les récentes prévisions de la Commission européenne. Pour elle, le déficit tricolore atteindra 5,3% en 2024, quand Bercy anticipe 5,1, après avoir espéré 4,4%. L'écart est encore plus grand pour 2025: 5,3% de déficit attendu par Bruxelles, contre 4,1% ciblés par le gouvernement.
Si la Commission européenne s'attend bien à voir le déficit baisser, notamment grâce au retrait d'aides publiques liées à l'énergie, ce recul "devrait être en partie compensé par la forte augmentation attendue des paiements d'intérêts sur la dette publique".
A Bercy, on s'oppose à ce constat en tablant sur un rebond économique important dans les prochaines années. Le ministère de l'Economie rappelle aussi à juste titre que Bruxelles ne tient pas compte dans ses prévisions des récentes économies annoncées par le gouvernement. La Commission estime en effet que ces économies manquent de "détails suffisants pour l'instant" mais met en garde contre leur possible "impact" sur le niveau de la croissance future.